Entretien

Manuel Carcassonne : "Dénicher de nouveaux talents"

Olivier Dion

Manuel Carcassonne : "Dénicher de nouveaux talents"

Reprenant en 2013 la tête d’une maison fortement identifiée à son prédécesseur, Jean-Marc Roberts, le directeur général de Stock a réussi à lui trouver un nouvel équilibre. A la veille de la rentrée, il précise son projet.

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Par Marine Durand
Créé le 10.06.2016 à 02h30 ,
Mis à jour le 10.06.2016 à 08h20

Le 1er juillet, Manuel Carcassonne fêtera ses trois ans à la direction générale de Stock. Après vingt-deux ans chez Grasset, où il a gravi les échelons jusqu’à atteindre celui de directeur général adjoint, l’éditeur a repris à l’été 2013 le poste laissé vacant par le décès de Jean-Marc Roberts en mars. Un sacré défi tant celui-ci incarnait la maison. Trois ans plus tard, Manuel Carcassonne a convaincu les plus sceptiques. Se détachant progressivement du Stock façonné par Roberts, il a remis le bateau à flot, remanié le département non-fiction, et aborde la rentrée auréolé de succès pour des premiers romans les deux dernières années.

Manuel Carcassonne - C’est surtout le contexte qui l’était. Un mois après la mort de Jean-Marc Roberts, j’ai commencé à travailler dans la maison. Il a d’abord fallu absorber toute la culture Stock, apprendre à connaître les gens, et la plupart des auteurs. Essayer de ne pas en perdre aussi, or beaucoup étaient très attachés à leur éditeur. Certains étaient même des amis personnels de Jean-Marc Roberts, comme Luc Lang que l’on retrouve dans cette rentrée, Philippe Claudel ou Erik Orsenna, qui sont encore dans la maison.

Peu d’auteurs sont partis, et je peux comprendre aussi leur réaction. Vassilis Alexakis était dans un rapport de quasi-gémellité avec Jean-Marc Roberts. Je regrette le départ avant mon arrivée d’Eric Reinhardt car c’est un bon auteur. Dans le même temps, beaucoup d’auteurs m’ont suivi, je ne citerai que quelques noms comme Christophe Boltanski, qui a eu le Femina l’an dernier, Benoît Heimermann, qui est à la fois auteur et directeur de collection, ou Evelyne Bloch-Dano.

En arrivant, j’ai trouvé trois directions. La fiction française d’abord, face à laquelle j’ai cherché à m’inscrire dans une continuité. La "bleue" a une bonne image, assez jeune, elle est bien repérée en librairie. L’idée était de la solidifier, de renouveler les auteurs bien sûr, mais surtout de continuer à voir un maximum de libraires. La situation était plus désordonnée en non-fiction, avec des collections de sciences humaines qui étaient peu cohérentes avec Stock et avec le marché. J’ai tout de suite créé un poste de directrice éditoriale, que j’ai confié à Sylvie Delassus, l’éditrice entre autre de Michel Cymes. J’ai arrêté la collection "L’autre pensée", mais j’ai consolidé celle dirigée par François Azouvi, que nous avons refaçonnée ensemble, en tâchant de clarifier la ligne. Les bûchers de la liberté d’Anastasia Colosimo, Malaise dans la démocratie de Jean-Pierre Le Goff ou Comprendre le malheur français de Marcel Gauchet ont eu énormément de presse. Stock a toujours été engagée, c’est la maison d’Alfred Dreyfus, de Simone Veil. J’aimerais qu’elle redevienne la maison des intellectuels d’aujourd’hui.

Non, mais je pense que cela l’intéressait moins que la fiction. De mon côté, j’aime éditer des témoignages forts, souvent féminins, comme celui de Samar Yazbek, Les portes du néant, sur la guerre en Syrie.

Pour moi, "La cosmopolite" était la grande collection de Stock, mais j’ai été surpris de découvrir des résultats commerciaux en demi-teinte. Aujourd’hui, mon principal objectif pour 2017 et 2018 est de la redéployer. Et ma première décision a été de revenir à l’emblématique couverture rose. Quand on a une visibilité forte, il faut la garder.

C’est vrai, mais j’ai trouvé normal de faire confiance à la personne en poste.

Les résultats commerciaux n’étaient pas à la hauteur, j’ai étudié le marché, et il n’est pas facile. Je suis en pleine réflexion. A moi de prouver qu’on peut faire mieux.

Je suis attaché à l’idée du cosmopolitisme, et j’aimerais me détacher un peu de l’anglo-américain pour revenir à d’autres langues, comme l’italien, l’allemand, l’arabe ou le chinois. Je veux garder une certaine exigence littéraire. Mais il n’est pas interdit de vendre ! J’aimerais aussi développer la narrative nonfiction à l’intérieur de cette collection, et pourquoi pas du roman graphique. Enfin, au-delà de "La cosmopolite", nous aimerions mettre l’accent sur le mieux-être avec le développement d’un secteur où l’on cite déjà Michel Cymes ou Bertrand Piccard. Certains contrats ont été signés pour 2017.

Les comptes ont été décevants en 2014, nous étions dans le positif en 2015. Quant à 2016, grâce à Michel Cymes, à Philippe Claudel, à Erik Orsenna et à des essais qui ont bien marché, nous sommes optimistes par rapport à notre budget.

J’essaie de conserver une grande exigence vis-à-vis des contenus, de revenir aux fondamentaux en travaillant les textes. Je continue d’ailleurs à le faire moi-même en littérature française, avec Alice d’Andigné. Je mets aussi une énergie folle dans les lancements avec l’excellent service de presse de Stock, et je compte accentuer les efforts du côté du webmarketing et des réseaux sociaux. Il faut donner un rôle plus fort aux blogueurs, aux youtubeurs. J’ai organisé une présentation de la rentrée littéraire spécialement pour des blogueurs, en plus de notre réunion pour les libraires.

La littérature est un secteur hyperconcurrentiel. C’est sain, cela crée une émulation. Editeur, c’est un métier de conviction, mais il faut se donner un mal de chien, dénicher en permanence de nouveaux talents. Et pour cela, il faut sortir, bouger. Sinon, on ne trouve pas de livres.

Nous avons d’abord beaucoup travaillé sur le texte de Christophe Boltanski, ensuite nous l’avons poussé. Je suis obsédé par le renouvellement des auteurs ! Cela se voit dans la rentrée littéraire : nous présentons trois premiers romans français et un étranger, tandis que Françoise Cloarec, Ollivier Pourriol et Bernard Chambaz nous rejoignent. Sur onze livres, sept sont signés par de nouveaux auteurs Stock.

J’aimerais qu’elle reste un domaine de l’excellence en littérature, où la recherche de nouveaux talents est essentielle, y compris dans la diversité. Une maison qui donne de quoi réfléchir à son public. Et j’aimerais réussir à trouver un équilibre entre la stabilité et la passion. Stabilité car il faut s’inscrire dans le temps long, et ne pas lâcher un auteur si on croit en lui. Et passion parce que j’en ai assez du snobisme froid germanopratin.

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