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Passion Culture : un pari de 1 400 mètres carrés à Orléans

OLIVIER DION

Passion Culture : un pari de 1 400 mètres carrés à Orléans

Le 16 septembre, l'ex-directrice de Chapitre à Orléans ouvre dans la ville Passion Culture, une librairie de 1 400 m2 sur les quais de Loire, avec l'objectif de devenir numéro un de l'agglomération. Un défi qui sera observé de près par tous les professionnels.

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Par Clarisse Normand
Créé le 03.09.2015 à 21h02 ,
Mis à jour le 04.09.2015 à 13h36

Sacré projet ! Ce 16 septembre, une librairie indépendante baptisée Passion Culture ouvre ses portes sur 1 400 m2 à Orléans, où elle occupe plus de la moitié de la halle de la Charpenterie place de Loire, dans la partie basse de la ville, en face du fleuve. Il faut remonter à septembre 2009 pour retrouver une création de cette envergure réalisée par un indépendant. Sauramps avait alors ouvert un magasin de 2 000 m2 dans le centre commercial Odysseum, à Montpellier (1). De manière plus récente, mais dans un registre un peu différent puisqu'il s'agissait d'un déménagement et non d'une création, Ravy à Quimper a en juin dernier changé de catégorie en passant de 350 m2 à 1 000 m2 (2).

LE LONG DE LA LOIRE ET PRÈS D'UN CINÉMA. Située place de Loire, à côté d'un multiplexe Pathé, Passion Culture fait le pari de créer un nouveau flux de consommation et de devenir un des moteurs de ce quartier en pleine mutation. D'ici à 2012, - Photo OLIVIER DION

UN ÉVÉNEMENT

Si l'on exclut les implantations menées par les enseignes nationales, l'ouverture de Passion Culture fait donc figure d'événement dans la librairie. En fait, pour Sylvie Champagne qui a porté le projet, il n'était pas question d'ouvrir une librairie généraliste de moins de 700 m2. Dans le métier depuis 1983, l'ancienne directrice de Chapitre à Orléans, partie en août 2010, se dit convaincue qu'"en dessous d'une certaine taille les librairies ont du mal à vivre". Mais 1 400 m2, c'est le double de la surface qu'elle recherchait au départ. Si elle a toutefois pris le risque de sauter le pas et de "mettre ses tripes sur la table", comme elle le dit en évoquant le financement du projet (voir ci-dessous), c'est à la fois parce qu'elle a pu négocier avantageusement son bail et qu'elle croit au potentiel du quartier. "Depuis 2003, il y a un déplacement progressif de la population vers la Loire, argumente cette dynamique et chaleureuse quadra. Le quartier, qui accueille déjà un multiplexe Pathé et quelques restaurants, va devenir un lieu de vie important dans la ville, dont Passion Culture sera la locomotive."

Photo OLIVIER DION

Accompagnée pour gérer le projet par deux anciennes collègues de Chapitre, Isabel Chevalier et Caroline Nivois, la nouvelle chef d'entreprise mise pour se différencier de la grande distribution spécialisée sur la profondeur de l'assortiment, organisé autour d'univers thématiques, ainsi que sur la qualité de service, l'animation culturelle et la convivialité (voir pages 14-15). Pour ces trois drôles de dames, à l'enthousiasme communicatif, il y a assurément une place à prendre dans le paysage de la librairie orléanaise. Au-delà du potentiel de développement du marché du livre local, elles visent volontiers certains de leurs anciens clients... "Aujourd'hui, il n'y a plus de grande librairie dans la ville !" tranche Sylvie Champagne qui compte bien faire jouer ce rôle à Passion Culture.

RÉUNION AU SOMMET AU CAFÉ. Moment clé pour Sylvie Champagne : la réception du chantier, alors que la librairie est encore en plein emménagement. Il fallait pour cela un endroit convivial, que symbolise le café. Offrant une vue imprenable sur - Photo OLIVIER DION

(1) Voir LH 789 du 18.9.2009, p. 14.

(2) Voir LH 868 du 3.6.2011, p. 44.

Le magasin point par point

 

Organisation par univers, intégration du multiproduit, services variés au client et présence sur Internet : Passion Culture préfigure la librairie de demain.

 

Un maître mot : l'univers. Pour faciliter l'accès au livre, Passion Culture a été conçue autour d'espaces thématiques censés répondre aux attentes du client qui, contrairement au libraire, ne raisonne pas par genres. Ainsi, le secteur pratique, >qui "typiquement ne signifie rien pour le public et sert de fourre-tout au libraire", analyse Sylvie Champagne, a été éclaté en univers plus cohérents. Au rez-de-chaussée, jouxtant la cuisine et la nature, ont été installés un espace "femme", qui propose des ouvrages allant de la littérature érotique à la médecine douce en passant par les relations parents-enfants, et son pendant, le rayon "homme", où ont été placés livres de sport, sur l'automobile, l'aviation, les vins, les cigares. "Testés à Noël, lorsque j'étais chez Privat-Loddé, j'ai vu que ces rayons fonctionnent très bien et simplifient l'achat de cadeaux", assume Sylvie Champagne sans craindre les critiques que sa caractérisation du féminin et du masculin suscitera. Au premier niveau, un rayon "notre planète" accueille les ouvrages scientifiques et grand public d'astronomie, de vulcanologie, de géologie, d'écologie et de développement durable, et fait la jonction avec les sciences humaines et les arts. Le tourisme n'existe plus, remplacé par l'univers "voyage", où se mêlent cartes et guides, beaux livres et carnets de croquis, récits et littérature de voyage. Identifié par des couleurs et une décoration propres, chaque espace forme ainsi une "boutique dans la boutique", et offre un assortiment complet au client.

LA DÉCORATION

UNE DÉCORATION CLASSIQUE MAIS DESIGN. Couleurs vives, mobilier noir, lampes tout en rondeurs de la marque Bob Design, tables du café et canapés signés Philippe Starck côtoient des objets et des luminaires dénichés chez Alinéa. Le pragmatisme

Vaste, Passion Culture courait le risque de ressembler à un immense cube froid. Pour "réchauffer" sa librairie, Sylvie Champagne a d'abord misé sur des murs aux couleurs vives, magenta, vert anis, orange ou violet, qui tranchent avec le mobilier noir fabriqué par Materic, entreprise spécialisée dans les agencements d'espaces de travail. L'éclairage, mélange de lampes design orange ou roses aux formes rondes et de luminaires classiques, crée une atmosphère conviviale, renforcée par des canapés, des poufs et des fauteuils, très présents notamment en littérature. "Cet univers littéraire représente le coeur de notre métier, la librairie dans la librairie. Nous avons donc fabriqué une atmosphère de salon pour que les clients se sentent comme à la maison"», souligne Sylvie Champagne. Particulièrement soigné - la moquette y remplace le carrelage présent partout ailleurs -, le rayon est situé au rez-de-chaussée, en face de l'entrée principale. Les clients y sont accueillis par une mise en avant de fonds éditoriaux emblématiques de la littérature, telles les collections "Pléiade", "Les cahiers rouges", "Quarto" ou "L'imaginaire", ainsi que par la production d'Actes Sud.

UN CAFÉ

DE LA PAPETERIE ET DES SACS RECYCLÉS GRIFFÉS. Trois formats et quatre couleurs pour les carnets, trois couleurs pour les crayons, deux couleurs et deux formats pour les sacs. En matériaux recyclés et assemblés par une entreprise locale employ

Véritable acteur de convivialité contribuant à faire de Passion Culture un lieu de vie, un café-salon de thé a été installé en entrée de magasin, au rez-de-chaussée. Géré entièrement par le personnel de Passion Culture, il permet au client de feuilleter les livres tout en contemplant la Loire et en consommant boissons froides ou chaudes et quelques produits secs. "Nous n'irons pas au-delà, ce n'est pas notre métier", précise Sylvie Champagne, d'autant que le reste de la halle devrait être occupé par de la restauration.

LE MIX PRODUIT

Parce qu'ils améliorent de quelques points la marge et permettent de capter un plus large public, jeux, activités manuelles et papeterie, dont une gamme de carnets et crayons aux armes de Passion Culture, complètent l'offre de livres et font la jonction entre la jeunesse et le parascolaire. S'y ajoutent thés et épices en cuisine et produits de bien-être au rayon "femme" travaillés en "one shot", présentés dans des meubles différents. En fin de semaine, Passion Culture propose également des bouquets composés par une fleuriste, disposés sur un triporteur à côté de la caisse.

DES SERVICES

L'ÉQUIPE : AUTONOMIE ET PASSION. Autour de Sylvie Champagne (au centre), deux bras droits, Isabel Chevalier (6e en partant de la g.) et Caroline Nivois (jupe colorée), et 12 libraires, qui ont tous manifesté lors du recrutement la même passio

Sylvie Champagne a choisi de faire du service au client un des axes forts de Passion Culture. "Notre flexibilité et notre réactivité représentent nos principaux atouts face à des grandes surfaces formatées et coincées dans des procédures." Disponibilité de l'équipe, composée de 14 personnes, tous des professionnels, accompagnement permanent du client au sein du magasin, délais de commande assurés, possibilité de retirer des paniers maraîchers, tout a été pensé pour inciter le client à venir et à revenir chez Passion Culture, en magasin ou sur la Toile. Le site, qui ouvre simultanément, affiche la disponibilité du stock, permet la réservation en ligne ou l'expédition à domicile de livres papier, le téléchargement de livres numériques et offre un espace collectivités.

INTERNET

Passion Culture articule tous les canaux de communication offerts par Internet pour créer une communauté et faire vivre la librairie 24 heures sur 24, et ce même avant son ouverture. A côté du site Internet, une page Facebook et un blog (1) sont actifs depuis le printemps. Ils sont alimentés par l'ensemble de l'équipe qui publie coups de coeur, expositions et informations liées au livre. Parallèlement, une chaîne de télé a été créée sur YouTube, qui diffuse reportages sur la librairie et interviews d'auteurs et d'éditeurs en partenariat avec Web TV culture. Un contenu que les clients retrouveront sur cinq écrans installés en magasin et en vitrine.

ANIMATION

Au-delà des rencontres avec les auteurs, Passion Culture se veut un centre de ressources culturelles, ouvert à tous les arts. Si au premier niveau, près du rayon arts, un espace accueillera régulièrement des expositions, sculptures ou peintures trouveront aussi leur place au sein de la librairie, alors que les clubs de lecture, les ateliers de cuisine ou d'art floral pourront avoir lieu au café. Sortir des murs figure au programme, avec des pique-niques littéraires sur les bords de Loire. Sylvie Champagne veut faire feu de tout bois pour que chaque livre soit un événement.

(1) blog.passionculture.fr.

Vincent Demulière : "La librairie doit être une agora"

"Il faut adopter une démarche orientée client." VINCENT DEMULIÈRE- Photo C. CHARONNAT

Anciens collègues au sein du groupe Privat puis Chapitre, Sylvie Champagne et Vincent Demulière partagent la même passion de la librairie. Il a dirigé successivement la librairie des Volcans d'Auvergne à Clermont-Ferrand, puis la librairie Flammarion de Lyon qu'il a quittée en 2010. Mais si elle a réussi à mettre en oeuvre sa vision du métier à Orléans, lui cherche encore un local où développer son projet. En attendant, il a écrit un essai numérique, paru il y a quelques jours chez Numériklivres.com, dans lequel il livre son analyse de la situation de la librairie française et s'interroge sur son devenir. Ni catastrophique ni alarmiste, mais bouillonnant, lucide et dérangeant, parfois naïf ou utopiste, Inventer ensemble la librairie de demain cherche avant tout à ouvrir le dialogue dans et sur une profession chahutée par une profonde crise d'identité.

Le texte s'ouvre d'abord sur un état des lieux. Rentabilité très faible, marché en déclin, oubli du client au profit du produit, pratique trop "élitiste" qui éloigne le grand public des librairies indépendantes et retard pris dans l'utilisation d'Internet, la librairie n'est pas prête à affronter la révolution culturelle en train de se produire. Sauf à changer profondément de mentalité et à tendre vers une librairie "interactive et connectée".

"CROSS-CANAL"

La librairie de demain devra donc ressembler à une "agora", être un lieu de vie "à habiter", où le libraire devient non plus "celui qui sait" mais un "médiateur culturel", celui qui communique et échange avec ses clients, en magasin et sur le Web. Elle se doit donc d'intégrer rapidement les outils Internet pour offrir un assortiment mixte (livres papier et numériques) "cross-canal", c'est-à-dire disponible sur un mobile, un ordinateur, une tablette ou en magasin, et d'être présente sur les réseaux sociaux. Pour y parvenir, il faudra "former, organiser et manager", soit rationaliser les coûts en les mutualisant, décloisonner l'offre et l'ouvrir à d'autres univers culturels, étendre et adapter les amplitudes horaires, adopter une "démarche orientée client" et remettre le commerce au centre du métier, afficher sa différence en adoptant une charte "éthique et commerciale" de la librairie indépendante. Pour Vincent Demulière, le Syndicat de la librairie française (SLF) devrait être le moteur et l'acteur de cette mutation.


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