Avant-critique Roman

La plus que vive. « La vie est dangereuse et tout peut nous arriver à tout moment. » Sy Baumgartner l'a hélas expérimenté lorsqu'il a perdu Anna, sa femme tant aimée, qui s'est noyée à seulement 58 ans. Les années ont passé mais la douleur demeure en lui. Lors d'une interview récente, Paul Auster expliquait : « Lorsque quelqu'un de central dans votre vie meurt, quelque chose en vous meurt aussi. Ce n'est pas simple, on ne s'en remet jamais, on apprend à vivre avec. » Il saisit son héros, auteur et philosophe, alors qu'il semble justement avancer en replongeant dans l'écriture. Une part de lui s'avère toutefois en quête permanente de la « vivacité radieuse » de son épouse. Elle qui aimait écrire, de la poésie notamment, a laissé derrière elle de nombreux textes. Baumgartner adore les relire afin d'y retrouver son esprit. « Les dieux pervers et moqueurs lui ont accordé le droit douteux de continuer à vivre sans elle. À présent, il est un moignon humain, un demi-homme ayant perdu la moitié de lui-même. » Au cours de cette décennie sous le signe de l'absence d'Anna, il a « le sentiment que ma vie a filé... Je suis devenu vieux, mais parce que les jours ont passé si vite, la plus grande part de moi-même se sent encore jeune ». Immobilisé par une chute, il se remémore leur rencontre, pendant leurs études. Cette fille de 18 ans, immergée dans ses pensées, ne pouvait que l'intriguer puisqu'elle cachait un drame. Anna « était à moitié amoureuse de lui, mais l'autre moitié savait ne pas être prête pour un amour cataclysmique, à corps perdu, et d'autant moins qu'elle souffrait toujours des suites du choc » de la mort effroyable de Frankie Boyle, son premier amour. Celui-ci vécut un destin à l'image de leur pays, promis à la gloire mais sombrant dans la guerre du Vietnam.

C'est dans « le passé distant et le monde disparu d'alors » que Baumgartner semble puiser les forces qui lui permettent d'avancer. Il est cependant rattrapé par une réalité : « La solitude tue et petit bout par petit bout, elle te ronge jusqu'à ce que ton corps entier soit dévoré. » Seule l'omniprésence de l'âme d'Anna l'aide à renouer avec son désir d'écrire et de vivre. Ainsi, il comprend que « vivants et morts sont reliés, une relation comme la leur peut se poursuivre même dans la mort, car si l'un meurt avant l'autre, le survivant peut garder l'autre en vie ». Cet amour si puissant, qui survit par la littérature, constitue une torche inestimable dans un quotidien plutôt terne. « Baumgartner continuait à sentir, aimer, désirer, à vouloir vivre, mais son intériorité la plus intime est morte. » Quoique... Peut-être n'a-t-elle pas dit son dernier mot. Se sachant atteint d'un cancer quand il a commencé à écrire ce roman, Paul Auster insuffle dans son écriture les braises de son enfance, la puissance de l'amour. Digne de Philip Roth, il se penche sans pitié sur la vieillesse, la mort et le deuil, sans jamais abandonner son moteur : la vie !

Paul Auster
Baumgartner
Actes Sud
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 21,80 € ; 208 p.
ISBN: 9782330188757

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