Photo PHOTO C. HELIE © GALLIMARD

Arno avec un "o". Depuis qu'il écrit, il orthographie son prénom de cette façon, une manière de pseudonyme créant une distance entre son état civil et sa personnalité d'écrivain. Cette finale pleine et ronde, conjuguée au patronyme, ça accentue le côté italien, ça a les reflets du fleuve qui coule à Florence. La famille du père d'Arno Bertina ne vient ni de Toscane ni de Rome, où il résida de 2004 à 2005 en qualité de pensionnaire de la villa Médicis. "Des montagnards, entre Turin et le lac Majeur, une région austère qui ressemble assez peu à l'idée qu'on se fait de l'Italie." Mais qu'importe, pour l'écrivain né en 1975 et qui a vécu dans l'Essonne, l'Italie, ce sont les étés de l'enfance, son "territoire littéraire"."J'aimerais y envoyer tous mes personnages", confie l'auteur d'Anima motrix. L'Italie, c'est sans doute avant tout le coup de pied (en forme de botte) au cul du pays de Descartes où même les jardins sont taillés comme des équations : une intelligence sensuelle qui croque à pleines dents la vie.

Tout dans l'écriture foisonnante, voire touffue, de Bertina s'oppose à la ligne claire d'une certaine fiction française. Le détour plutôt que l'ellipse. Son dernier livre, Je suis une aventure, ne déroge pas au style qui caractérise sa bibliographie romanesque. Bertina reste pourtant français, son autre partie, sa patrie mentale. Qu'il le veuille ou non, s'il y a beaucoup de sensations dans ses livres, il y a aussi beaucoup d'idées. Je suis une aventure a beau être un roman aux allures de road-movie, il n'en est pas moins existentiel. Là réside tout l'intérêt, la tension, cette tentative de réconciliation entre l'intensité d'un corps qui se donne et l'analyse d'un cerveau qui regimbe. Comme dit Hippocrate : "Si l'homme n'était qu'un, il ne souffrirait jamais."

Le protagoniste de Je suis une aventure est un journaliste sportif qui doit faire un entretien avec le tennisman Rodgeur Fédérère (sic), mais manque de bol, au moment où l'interview est commandée - 2008 -, le numéro un mondial se met à perdre une série de matchs et refuse tout contact avec la presse. Le narrateur ne se décourage pas, enfourche sa moto, direction la Suisse, à la rencontre du dieu des courts. Il tombe en panne et également sur le fantôme du Robinson Crusoé de la littérature américaine, Thoreau, l'auteur de Walden, qui lui conseille d'abandonner et sa moto et la modernité. Le héros trace sa route, et au milieu du chemin de sa vie, contrairement à Dante, il ne croise pas Virgile mais un hurluberlu, "aspirant fantôme" d'un philosophe pas encore mort du nom de Robert M. Pirsig, auteur d'un Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes... Et l'aventure de se dérouler sous la double vision contradictoire du chantre de la "stase" (le fait que rien ne bouge) et du héraut du perpétuel mouvement ainsi que du Chautauqua ("terme indien désignant une réflexion qui se déploie dans le temps"). Thoreau vs Pirsig, le grand dilemme de la vie.

Un photographe contrarié

Le pigiste à la prose "littérairo-merdique" (dixit Jean, le rédacteur en chef) choisit quand même de coller aux baskets de Rodgeur, de tournoi en tournoi, comme on cavale derrière le Graal : car lui seul sait, qui fut depuis 2003 au pinacle de la gloire "remportant 82 des 85 matchs joués...", ce que c'est que de gagner puis de perdre.

D'Indian Wells, en Californie, aux rives du Niger, en passant par les Alpes ou Londres, Je suis une aventure est l'occasion pour Arno Bertina d'embrasser des paysages naturels ou urbains : "Je suis un photographe contrarié, explique-t-il. Quand j'écris, je recherche ce type impalpable de lumière que peut rendre la photographie, je galope après ce genre d'épiphanie." Quitte à ce que se distende le fil du récit. Peu nous en chaut, l'histoire se tisse chemin faisant, c'est l'itinérance même de ce héros précaire.

Bertina, dans sa vie de citoyen et d'écrivain, n'est pas sans engagement : il a cosigné avec François Bégaudeau et Oliver Rohe Une année en France (Gallimard, 2007), une enquête sur un pays déchiré entre embrasement des banlieues et "non" à l'Europe ; avec la revue Inculte, autour, entre autres, de Jérôme Schmidt, Mathieu Larnaudie et des coauteurs précités, il a défendu une certaine idée de la littérature. Mais la fiction, c'est là que se concentre son véritable engagement : celui qui célèbre la vie.

Beuverie entre copains dans l'arrière-boutique d'une pharmacie ou joyeux bordel d'un lupanar africain, l'auteur de Je suis une aventure invente un picaresque philosophique où s'entremêlent les épisodes chaotiques d'une existence toujours en mouvement malgré les regrets (un amour nommé Sylvia) et les suspicions ("Le sentiment d'étouffer ne se dissiperait pas. D'être ou d'avoir été serré"), malgré l'incertitude. L'essentiel est de capter cette lueur fugace à fleur de réel, "la beauté des choses branlantes, fragiles, qui contiennent aussi de l'intelligence".

Je suis une aventure, Verticales, Arno Bertina, ISBN : 978-2-07-013661-2, 24,90 euros, à paraître le 5 janvier 2012.

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