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Polémique autour des droits posthumes du Journal d'Anne Frank

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Polémique autour des droits posthumes du Journal d'Anne Frank

Depuis la publication par Livres Hebdo d'un article expliquant que le Journal d'Anne Frank ne tomberait pas dans le domaine public au 1er janvier 2016, plusieurs chercheurs, médias et politiques critiquent le Fonds Anne Frank, qui en détient les droits d'exploitation, et diffusent un lien de téléchargement de l'oeuvre en assumant le caractère illégal de leur acte.

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Par Marine Durand
Créé le 09.10.2015 à 22h54 ,
Mis à jour le 11.10.2015 à 22h52

Depuis la publication, mardi 6 octobre sur notre site, de l'article "Le Journal d'Anne Frank ne tombera pas dans le domaine public en 2016", qui relayait une information du Fonds Anne Frank, la polémique enfle. Plusieurs chercheurs, médias, ou personnalités politiques s'émeuvent en effet de cette annonce, perçue comme une décision du Fonds Anne Frank de retarder son entrée dans le domaine public. Le Fonds détient les droit d'exploitation de l'oeuvre, traduite dans plus de 70 langues et vendue à des dizaines de millions d'exemplaires.

Dans un post de blog prenant la forme d'une lettre ouverte à Anne Frank, repris par le site Rue89 et abondamment partagé par la suite, le chercheur Olivier Ertzscheid s'indigne : "Très chère Anne, je viens d’apprendre que ton éditeur et les gens qui gèrent ton œuvre, le Fonds Anne Frank, s’opposaient à l’entrée de ton journal dans le domaine public l’année prochaine. Ils ont, chère Anne, toute une série d’arguments juridiques et légaux, qui semblent juridiquement et légalement indiscutables. (...) Qui sont-ils, Anne, pour s’opposer ainsi à l’entrée de ton journal dans le domaine public ?" A la fin de sa lettre, Olivier Ertzscheid explique avoir pris la décision de mettre en ligne le Journal d'Anne Frank, assumant le caractère illégal de son acte. Dans la foulée, de nombreux médias ont appuyé son action, et décidé, comme lui, de proposer au téléchargement le Journal d'Anne Frank.

Plusieurs versions du Journal

"Il y a des lois fortes en France, faites pour protéger les œuvres. J'entends l'indignation, mais ce n'est pas une prolongation abusive de la propritété intellectuelle, nous appliquons simplement la loi", répond Yves Kugelman, membre du conseil du Fonds Anne Frank, interrogé par Livres Hebdo. Alors qu'une œuvre est censée entrer dans le domaine public 70 ans après la mort de son auteur, le Fonds Anne Frank, organisation à but non lucratif fondée en 1963 par Otto Frank, le père de l'adolescente déportée et morte au camp de Bergen-Belsen, et basée à Bâle, considère que le Journal d'Anne Frank bénéficie d'une exception.

Une première version, corrigée et expurgée de certains passages personnels par Otto Frank du journal de sa fille, a été publiée en néerlandais en 1947 (et traduite en français par Calmann-Lévy en 1950). Une autre, compilée par l'auteure allemande Mirjam Pressler, a été publiée en 1991. Selon l'organisation, ces deux œuvres doivent être considérées comme des œuvres composites, et ne peuvent entrer dans le domaine public que 70 ans après la mort du co-auteur. Or Otto Frank étant mort en 1980, et Mirjam Pressler étant encore en vie, cela repousserait au moins à 2051 l'entrée de l'œuvre dans le domaine public.

Une troisième version, intégrale celle-ci, du Journal d'Anne Frank existe, publiée dans les années 1980. Pour le Fonds Anne Frank, le régime des œuvres posthumes s'applique à cette dernière version, qui veut que la protection s'applique pendant 50 ans à compter de la date de publication, repoussant l'entrée dans le domaine public aux années 2030.

Rappelant que les recettes des droits d'auteurs du Journal sont reversées à des organisations caritatives, Yves Kugelman met aussi en avant la nécessité de protéger l'œuvre contre les négationnistes, qui l'ont déjà attaquée par le passé, un argument déjà soulevé par le journaliste Daniel Schneiderman sur le site Arrêts sur images. "Le Fonds doit s'assurer que l'oeuvre soit publiée de façon authentique", détaille-t-il

Une question d'interprétation

Pour Clémence Lemarchand, avocate au sein du cabinet Pierrat, contactée par Livres Hebdo, si la version datant des années 1980 entrera bien dans le domaine public après 2030, tout est question d'interprétation quant aux œuvres composites telles que présentées par le Fonds Anne Frank. "Concernant la version de 1947, elle a été publiée sous le nom d'Anne Frank. Il y a donc une présomption de paternité, et selon moi elle devrait entrer dans le domaine public."

De son côté, la députée du Calvados Isabelle Attard, abonde. "C'est une interprétation qu'ils font, et un juge peut aussi en juger autrement. On peut également considérer qu'Otto Frank, en expurgeant certains passages du journal de sa fille, a agi comme un éditeur et pas comme un auteur. Il n'y a pas ici de création. Et on sait très bien que l'auteur, c'est Anne Frank et elle-seule", explique-t-elle à Livres Hebdo. Sur son blog, elle a d'ailleurs publié un texte dans lequel elle s'engage à publier la version originale du Journal d'Anne Frank au 1er janvier 2016 en dépit de l'avis du Fonds, ajoutant : "Je suis prête à le maintenir devant les tribunaux."

Enfin, selon elle, l'argument anti-négationniste ne tient pas. "Lorsqu'une oeuvre entre dans le domaine public, les ayants droits disposent toujours d'un droit moral, qui leur permet de poursuivre en justice toute personne qui dénature l'oeuvre et le nom d'Anne Frank. Que le Fonds Anne Frank soit rassuré."

Il est vraisemblable que cette polémique se poursuivra devant un Tribunal.

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