Psychologie et psychanalyse

Retrouver le désir

Retrouver le désir

Alors que les ventes ont encore marqué le pas l’an dernier en librairie, les éditeurs de psychologie et de psychanalyse cherchent les moyens de relancer l’intérêt du lectorat en s’appuyant sur des auteurs reconnus et des thèmes alléchants, flirtant parfois avec le développement personnel.

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Par Mylène Moulin
avec Créé le 17.10.2013 à 18h49 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

La fermeture de la librairie Lipsy à Paris à la fin de 2012, moins d’un an après celle de Thierry Garnier, a marqué le terme d’une époque pour le secteur des livres de psychologie et de psychanalyse. Elle met en lumière la crise de réception de ce marché partagé entre les ouvrages universitaires, professionnels et grand public. Au Seuil, Elsa Rosenberger, éditrice pour les sciences humaines, dresse un bilan modeste avec des ventes très moyennes l’an dernier. Par exemple, L’œil de l’esprit d’Oliver Sacks s’est vendu à 8 000 exemplaires. « Ce sont de bonnes ventes eu égard aux ventes moyennes aujourd’hui, mais elles sont moins bonnes que celles des livres précédents de Sacks », déplore l’éditrice. « Comme chez tous les éditeurs, l’année 2012 a été plus difficile, mais le département psy garde un chiffre positif », observe de son côté Mathilde Nobécourt, éditrice chez Albin Michel. Chez Payot, le bilan est plutôt positif « malgré un marché qui s’installe dans une certaine mollesse, estime Christophe Guias, responsable du secteur des sciences humaines. Notre production en 2012 s’est partagée comme l’année précédente entre les auteurs contemporains publiés en grand format et les “fondamentaux? publiés en poche dans la “Petite bibliothèque Payot? ». Parmi les titres qui se sont détachés chez Payot, l’essai de Robert Neuburger, Exister : le plus intime et fragile des sentiments, s’est écoulé à 7 000 exemplaires, et Les perversions narcissiques de Paul-Claude Racamier à plus de 4 000 exemplaires.

Chez Armand Colin, cependant, Sophie Griveaud constate une stabilisation des ventes par rapport à 2012, due notamment à une politique de réédition « qui a permis aux ouvrages du fonds de bien résister » et à un travail pointu sur les titres universitaires qui bénéficient d’un double lectorat, étudiant et professionnel. Même bilan pour Dunod, où l’activité psychologie et psychanalyse est restée stable à un an d’intervalle. « Une performance », selon Jean Henriet, directeur éditorial sciences humaines et sociales, qui estime avec lucidité que « le marché de la librairie est en reflux » et que « s’y maintenir est un record ».

Soigner ses choix

« D’un côté, la psychanalyse semble fournir au marché une très grande quantité de livres où d’excellents travaux se noient dans une production de circonstance ; d’un autre côté, elle est mise à mal dans le champ des sciences humaines, et concurrencée par un grand nombre de méthodes et de thérapies », analyse Ana de Staal, des éditions Ithaque. Comment dès lors se démarquer dans une production annuelle de plus de 600 nouveaux titres (voir graphique ci-contre) ? Pour Christophe Guias, les thèmes doivent être renouvelés et choisis avec encore plus de soin qu’auparavant, prioritairement en raison de la richesse de leur écho social et du sens qu’ils peuvent apporter. « Le sentiment d’exister est central aujourd’hui dans les revendications, estime l’éditeur chez Payot. L’angoisse d’abandon permet de mieux comprendre pourquoi on se laisse violenter, sous l’emprise, par exemple, d’un pervers ; le rôle de la “part d’ombre? en nous n’est plus à démontrer ; l’intelligence intuitive est désormais valorisée dans tous les secteurs de la vie. » Sa maison poursuit son travail d’ouverture de la psychanalyse à d’autres disciplines comme la littérature ou la philosophie, entamé l’an dernier. Elle y est notamment encouragée par le succès de Fantômes familiaux, l’essai de psychanalyse transgénérationnelle de Bruno Clavier dont plus de 6 000 exemplaires ont été vendus en quatre mois, et par le bon démarrage de la troisième édition du « classique » de Robert Neuburger, « On arrête ?… on continue ? » : faire son bilan de couple, qui vient tout juste de sortir.

Plusieurs thématiques dans l’air du temps nourrissent une grande partie de la production cette année. Dans Lettre ouverte au déprimé (Dunod), à paraître en octobre, le psychanalyste et professeur de psychologie Pascal-Henri Keller réfléchira sur le sens du phénomène de santé publique qu’est la dépression dans une lettre ouverte à son frère mort des suites d’une dépression mal soignée par des médicaments. Ithaque publiera de son côté De la mort volontaire au suicide au travail : histoire et anthropologie de la dépression au Japon de Junko Kitanaka. L’éditeur spécialisé, qui a publié l’an dernier le deuxième volume d’Obsessions et contrainte intérieure de Pierre-Henri Castel, sur l’histoire de la folie et de la conscience morale en Occident, poursuivra son exploration du thème avec Aller vers la folie : maladie mentale, care et situations limites d’Anne M. Lovell. Les Presses universitaires de Rennes livreront en septembre Parmi les fous : une histoire sociale de la psychiatrie de Benoît Majerus. Le Seuil prévoit en 2013 La folie qui t’a séduit : de la psychiatrie à la santé mentale du journaliste spécialisé dans le domaine du soin psychiatrique Patrick Coupechoux dont le premier livre, Un monde de fous, est devenu un livre de référence, y compris dans les milieux professionnels. De leur côté, les Puf publieront en août Les pères encombrants de Patrick Avrane, un essai sur l’énigme de la paternité, puis en octobre un Traité psychanalytique de l’excitation de Paul-Laurent Assoun et Lettres à Marcelle Spira, la correspondance de Mélanie Klein avec la psychanalyste suisse.

Voix de références

Afin de s’assurer quelques gros succès annuels, les éditeurs misent donc sur des valeurs sûres. Pour Elsa Rosenberger, « il existe aujourd’hui, en psychologie et en psychanalyse, une tendance à valoriser des “voix? de référence, des experts en autorité parentale, en sérénité, etc. ». Une loi qui s’applique autant aux éditeurs grand public qu’aux spécialisés. Tandis que chez Albin Michel, par exemple, les ouvrages de Monique de Kermadec ou de Maryse Vaillant s’écoulent sans difficulté, chez Ithaque, La clinique psychanalytique contemporaine, premier ouvrage posthume d’André Green, s’est bien vendu à sa parution, et continue de l’être en ce premier semestre 2013 grâce à la notoriété de l’auteur. Chez Dunod, la publication du Malêtre de René Kaës, un très grand nom de la psychanalyse contemporaine, a dépassé les 1 000 ventes en trois mois, un bon score pour un ouvrage si pointu. Pour sa part, Armand Colin publie régulièrement des essais hors collection signés par des auteurs connus dans leurs domaines et rodés à l’écriture grand public tels que Jean-Claude Kaufmann, dont Oser le couple s’impose parmi les bonnes ventes de 2012, ou Daniel Marcelli, qui publiera en octobre L’état adolescent : miroir de la société, une réflexion originale sur les rapports entre les adolescents et la société.

Mais les superstars du secteur sont sans aucun doute les très médiatisés psychiatres Christophe Fauré et Christophe André dont chaque nouvel ouvrage s’arrache à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Figure de proue de la collection « Comment faire face » d’Albin Michel, Christophe Fauré a reçu le prix Psychologies/FNAC en 2012 pour son livre Maintenant ou jamais !, paru en 2011, et son septième livre, Est-ce que tu m’aimes encore ?, paru en février, est bien parti pour avoir le même succès que les précédents. Edité par Odile Jacob, Christophe André a quant à lui récemment dirigé le collectif Conseils de psys : ce qu’il faut savoir pour vivre mieux, quelques mois après le succès de son ouvrage Sérénité : 25 histoires d’équilibre intérieur, paru en 2012.

aux confins du développement personnel

« De nos jours, qu’il s’agisse des professionnels ou du grand public, les lecteurs sont de plus en plus demandeurs de livres à l’écriture fluide, leur permettant aussi de répondre plus rapidement à leurs préoccupations, estime Mathilde Nobécourt. Ces lecteurs qui achètent un livre, le font pour aller plus loin. Il faut donc leur donner des livres qui nourrissent vraiment leur réflexion. » Aussi l’éditrice publiera-t-elle en septembre chez Albin Michel Le petit surdoué de 6 mois à 6 ans de Monique de Kermadec et Sophie Carquain, et Pourquoi j’ai faim ? De la peur de manquer aux folies des régimes de Marie Thirion, un livre sur les mécanismes de la faim et de l’appétit depuis la naissance et tout au long de la vie. Marabout publiera à la rentrée deux ouvrages de Pierre Daco, Les triomphes de la psychanalyse et Les prodigieuses victoires de la psychologie moderne. Ce dernier propose une vue d’ensemble des pathologies que la psychologie peut aider à résoudre.

Demande de repères, de conseils, de livres qui réconfortent… Le grand public est une cible idéale pour les éditeurs de psychologie et de psychanalyse. Chez First, les succès de La psychanalyse pour les nuls, paru en septembre 2012, et de la nouvelle édition du best-seller de Joseph Messinger, Ces gestes qui vous trahissent, publié en avril, le démontrent. First continue cette année dans la même voie en publiant notamment Méditation : la pleine conscience pour les nuls, préfacé par Christophe André ; puis Vivre le deuil pour les nuls en mai.

Des éditeurs, traditionnellement tournés vers le public universitaire et professionnel ne s’y sont pas trompés en ouvrant leur catalogue à des titres plus grand public. Avec sa collection « Comprendre », qui a véritablement explosé en 2012 grâce à un bon repositionnement initié en 2011, De Boeck a gagné de nouvelles parts de marché. « Nous avons créé un nouveau visuel, lui avons donné une meilleure visibilité tant en librairie que dans la presse, et décidé de publier des sujets en phase avec le marché à travers des titres comme Accompagner des ados en rupture scolaire, L’adolescent surdoué ou encore Mindfulness : la pleine conscience pour les ados », explique Anouk Verlaine. L’éditrice inaugurera également à l’automne une nouvelle collection « Cultiver la pleine conscience », qui a vocation à accueillir aussi bien des ouvrages de pratique que de réflexion autour de la pleine conscience. Trois nouveautés sont prévues sous forme de livres-CD avec le très attendu Méditations guidées de Jon Kabat-Zinn, complément pratique de son ouvrage fondateur Au cœur de la tourmente, la pleine conscience, dont la nouvelle édition rejoindra la collection au printemps 2014. Sortira également Initiation à la pleine conscience d’Edel Maex.

De son côté, Armand Colin vient de lancer « Expériences de soi », une collection à la frontière du développement personnel et de la psychologie, qui s’appuie sur des expériences scientifiques et donne des clés, des balises pour aider chacun à faire ses propres choix sur sa façon d’être et d’agir au quotidien : la beauté, l’authenticité, la perfection, la conception de soi. Le premier titre, Slow attitude ! propose une vision globale des mouvements pro-lenteur. <

La psy en chiffres

Psycho 2.0

Si les ventes d’ebooks restent marginales en psychologie et en psychanalyse, les éditeurs spécialisés voient dans le numérique et les outils en ligne une opportunité pour une diffusion élargie.

Comme un grand nombre d’acteurs de l’édition française, les éditeurs de psychologie et de psychanalyse ont pris le parti de publier leurs nouveautés simultanément en version papier et en numérique. « Nous sommes techniquement à la pointe du numérique, mais commercialement en attente », tempère cependant Jean Henriet, directeur éditorial sciences humaines et sociales de Dunod. Le constat est le même chez Armand Colin, où le numérique représente moins de 5 % du chiffre d’affaires. Cependant, pour l’éditrice Sophie Griveaud, si les ventes numériques ne sont pas comparables à celles du papier, la psychologie semble plus réceptive que d’autres disciplines des SHS. « Quatre des dix meilleures ventes numériques d’Armand Colin sont des ouvrages de psychologie », constate-t-elle. Un signal d’encouragement qui pousse les éditeurs à innover. Chez Albin Michel par exemple, Mathilde Nobécourt aimerait à l’avenir développer de nouveaux concepts éditoriaux alliant papier et numérique. Au premier trimestre 2014 paraîtra ainsi un nouveau livre de Sylvain Mimoun et Rica Etienne, que les auteurs ont conçu en pensant d’emblée aux enrichissements possibles dans sa version numérique. La maison spécialisée Ithaque a quant à elle décidé de mettre en ligne gratuitement les appareils scientifiques (index, bibliographie, illustrations) des ouvrages de sa collection « PAP ». « Ce sont des ressources électroniques autonomes, très travaillées, à visée pédagogique, explique Ana De Staal. Par exemple, au lieu d’avoir simplement, comme sur le papier, le nom d’un article scientifique cité en bas de page, vous pouvez cliquer sur le lien en ligne, et afficher à l’écran le document cité en bas de page. » Ithaque espère numériser son fonds dès que possible, afin de proposer par la suite toutes ses nouveautés également sous format numérique. Et au moment du passage du fonds au numérique, les suppléments actuellement gratuits le resteront. Pour Anouk Verlaine, chez De Boeck, le numérique doit se penser au cas par cas. « Nous visons un développement selon différents axes en fonction des publics cibles afin de parvenir à toucher tout public via des ebooks sous forme PDF ou ePub, avec des résultats très variables d’un secteur à l’autre », explique l’éditrice, qui compte aussi sur le développement de plateformes et de portails d’accompagnement pour attirer et soutenir les étudiants, les pédagogues et les professionnels. « L’idée est d’être présent, de permettre au public de mieux appréhender et se familiariser avec le numérique, détaille Anouk Verlaine. Selon les marchés, les habitudes et les pratiques sont assez différentes et plus ou moins poussées et développées. Nous souhaitons vraiment accompagner tous les publics dans leur pratique et surtout leur offrir la possibilité de choisir. » <

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