Blog

La Cour de cassation a rendu un arrêt le 2 juillet 2014 sur la nécessité ou non de conclure un contrat d’édition avec l’illustratrice d’un couverture de livre.

Une illustratrice d'ouvrages pour la jeunesse avait en effet réalisé des illustrations suivant onze bons de commande établis sur plusieurs années, et qui lui avaient été payées conformément à ses factures. Or, elle reprochait à la société éditrice d'avoir procédé à des retirages de livres après modification des illustrations de couverture et d’avoir exploité des titres en ligne sur son site internet sans reddition de comptes.
Elle avait donc assigné en réparation de ses préjudices nés de l'exploitation sans contrat des illustrations réalisées. Elle avait toutefois consenti des cessions de droits de reproduction à l’éditeur pour les ouvrages litigieux, moyennant le paiement d'une rémunération forfaitaire.

Mais cette auteure estimait que la cession du droit d'exploiter en nombre des exemplaires d'une oeuvre de l'esprit constitue l'objet spécifique du contrat d'édition ; que ce contrat est réglementé de manière spécifique par des règles impératives du Code de la propriété intellectuelle (CPI), protectrices de l'auteur. Selon elle, la cession du droit d'exploiter ne pouvait donc être réalisée que par un contrat d'édition et ne saurait faire l'objet d'une convention innomée qui aurait pour effet de contourner lesdites règles protectrices de l'auteur.

Rappelons en effet que le contrat d’édition possède un statut très particulier au sein des contrats relatifs au droit d’auteur que l’éditeur est amené à négocier fréquemment. Le législateur, dans un souci de protection des auteurs, s’est en effet attaché à limiter la liberté contractuelle des éditeurs et à entourer la conclusion d’un contrat d’édition de nombreuses conditions. Le CPI consacre une section entière aux règles propres au contrat d’édition. L’ensemble de cette législation a par surcroît été grandement interprété et aménagé par la jurisprudence. Il en résulte aujourd’hui que le contrat d’édition suit un régime très dérogatoire du droit commun des contrats, régime que l’éditeur doit veiller scrupuleusement à respecter au risque de perdre le bénéfice de la signature d’un auteur.

Selon l’article L. 132-1 du CPI, « le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion. » Cette définition est importante car elle permet de savoir précisément à quels contrats le régime du contrat d’édition s’applique. Ce dernier étant un contrat particulièrement contraignant, certains éditeurs ont la tentation de s’en octroyer les bénéfices sans les inconvénients. Pour ce faire, ils signent avec leurs auteurs des contrats d’édition qui n’en portent pas le nom. Ces contrats, qui peuvent être requalifiés par le juge en contrats d’édition, seront annulés aux torts de l’éditeur s’ils ne répondent pas aux exigences légales d’un contrat d’édition.

La définition légale permet également de distinguer ce type de contrat des contrats voisins qui jouissent d’une plus grande liberté de rédaction.

En l’occurrence, les hauts magistrats ont d’abord souligné que les images « commandées à étaient destinées à illustrer, de manière accessoire, des oeuvres déjà écrites, et que les oeuvres en cause ne pouvaient être qualifiées d'oeuvres de collaboration ». En suivant cette logique, ils en ont déduit que « les contrats litigieux ne constituaient pas des contrats d'édition mais devaient recevoir la qualification de contrats de louage d'ouvrage assortis d'une cession du droit de reproduction ».

L’auteure a toutefois soutenu qu’il n'existait aucun contrat écrit et, par voie de conséquence, aucune délimitation des droits cédés ni aucune indication d'étendue, de destination, de lieu, de durée ; elle ajoutait ne pas avoir donné son consentement formel à une rémunération forfaitaire, conformément aux dispositions de l'article L 132-6 du code de la propriété intellectuelle.

Or, d’après les juges, les moyens contradictoires soulevés par l’illustratrice, l'absence d'écrit des contrats d'édition invoqués dans le cadre de la présente instance, l'absence de revendication à ce titre depuis plusieurs années et la poursuite des relations contractuelles pendant cinq années démontrent suffisamment que les parties n'ont pas entendu conclure de contrat d'édition pour les onze ouvrages litigieux.

Mais ils ajoutent surtout qu‘« il appartient cependant à l'éditeur de prouver la cession du droit de reproduction et l'accord des parties sur les modalités d'exercice de ce droit ». Et que c'est à juste titre que la société se prévaut de contrats de commande assortis d'une cession du droit de reproduction pour une utilisation dans les ouvrages précisément déterminés dans les factures.

Las, l’auteur est là encore déboutée car son action est prescrite. Elle a soulevé « l'irrégularité des cessions consenties pour non respect des obligations édictées aux articles L. 131-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, mais ce moyen est tiré de la nullité relative des conventions de cession de droits, destinée à protéger l'auteur, et dès lors que plus de cinq années se sont écoulées depuis la conclusion des cessions en cause, elle est prescrite de ce chef de demande. »

Les dernières
actualités