Poésie

Tsvetaeva, la vie en vers

Marina Tsvetaeva au début des années 1930. - Photo DR/Ed. des SYrtes

Tsvetaeva, la vie en vers

Les éditions des Syrtes publient une édition bilingue monumentale, exhaustive de la Poésie lyrique de Marina Tsvetaeva. Un chef-d’œuvre de traduction signé Véronique Lossky.

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Par Jean-Claude Perrier,
Créé le 23.10.2015 à 02h03 ,
Mis à jour le 23.10.2015 à 10h54

Avec Boris Pasternak, Vladimir Maïakovski (ses écrivains préférés), Anna Akhmatova et Ossip Mandelstam, Marina Tsvetaeva (1892-1941) est considérée comme l’un des plus grands poètes russes du XXe siècle. Un siècle et un pays avec l’histoire desquels se confond sa destinée, brève et tragique.

Née en 1892 à Moscou dans une famille bourgeoise et intellectuelle - son père, universitaire, fut le premier directeur du musée des Beaux-Arts, aujourd’hui musée Pouchkine -, Marina Tsvetaeva commence à publier, très tôt, des poèmes académiques. Mais survient la révolution d’Octobre et la jeune femme, mariée à 19 ans à un officier de l’Armée blanche, Sergueï Efron, avec qui elle aura deux enfants, adopte sa cause et le suit en exil, à partir de 1922. Elle vit d’abord à Prague, puis à Paris en 1925. Elle y restera jusqu’en 1939, avant de revenir en URSS, les idées de Sergueï ayant évolué. Mais, après des années difficiles, éclate la guerre.

Sergueï et sa fille Ariadna, quoique professant des convictions prosoviétiques, sont arrêtés, emprisonnés. Marina, évacuée à Elabuga en République tatare avec son fils Gueorgui, dit Murr, marquée par tous ces drames, se suicide en 1941. Murr, tué au front en 1944 à l’âge de 19 ans laissera un Journal (1939-1943) bouleversant de ces années terribles, publié aux Syrtes en 2014. L’éditeur suisse a publié également en 2011 Le cahier rouge, un inédit de Marina Tsvetaeva écrit en 1932-1933 et en français, qui comprend un de ses essais majeurs sur la poésie, et aussi plusieurs de ses correspondances.

"Jeanne d’Arc"

Mais c’est la première fois que son œuvre poétique, le cœur de toute son œuvre, est publiée en France, dans une édition bilingue, exhaustive et chronologique, grâce au soutien financier de l’Institut pour la traduction littéraire de Russie et de la Fondation Neva, Suisse. Un monument : deux volumes de près de 1 000 pages, dus aux soins de Véronique Lossky, la grande spécialiste de Marina Tsvetaeva. Mais aussi une prouesse. Dans son introduction au premier tome, Georges Nivat, autre maître des études russes, présente la poétesse comme une "Jeanne d’Arc" livrant un perpétuel combat, et son mode d’expression comme "le clairon tsvetaevien". Et il insiste sur la difficulté de rendre en français une langue aussi différente structurellement du russe, avec sa grammaire énergique et son extrême concision, les poèmes de Marina. "Vivre comme j’écris, concis et modèle", revendiquait-elle. Son utilisation surabondante des tirets, par exemple, constitue pour le traducteur une véritable gageure.

Le premier volume de cette Poésie lyrique (1912-1920) rassemble les poèmes publiés par Marina lorsqu’elle vivait encore en Russie, du moins ceux qu’elle-même avait voulu conserver de ses deux premiers recueils, puis Verstes, l’un de ses livres majeurs, et nombre de poèmes épars ou inédits. Le deuxième volume lui court de 1921 à 1941 et comporte en particulier les Poèmes à la Tchécoslovaquie écrits entre 1937 et 1939, restés inédits jusqu’en 1965 - édition expurgée par Ariadna, la fille de Marina, de certains textes trop "antisoviétiques" - et 1990. Encore à Paris, alors que la guerre mondiale est imminente, Marina écrit : "Non, peuple de courage,/Tu ne mourras pas ! Dieu te garde !"

Une belle réalisation éditoriale, fruit d’années d’efforts, au service du patrimoine littéraire mondial.

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