17 AOÛT - ROMAN Turquie

Metin Arditi, lui-même homme partagé entre plusieurs cultures - né en Turquie, il est chef d'orchestre en Suisse, où il vit, et écrit en français -, a composé une espèce de conte philosophique et humaniste, une célébration optimiste de la création artistique, plus forte que tout et qui finit par triompher des pires obstacles : la pauvreté, le fanatisme, la mort même.

Le point de départ est en forme d'énigme : et si Homme avec gant, tableau du Louvre prêté à Genève en 2001 pour une exposition consacrée à Venise et signé TICIANUS, n'était pas vraiment une oeuvre du maître vénitien, mais d'un artiste bien plus obscur et à la destinée beaucoup plus chaotique ? A preuve, le portrait aurait été signé à l'origine d'un T qui voulait dire Turquetto, et une main illustre aurait ensuite rajouté -ICIANUS. Non pas pour s'approprier un tableau de plus, Titien n'en avait ni le besoin ni la bassesse. Au contraire : afin de sauver des bûchers de l'Inquisition ce qu'il considérait comme le chef-d'oeuvre d'un artiste plus jeune que lui, qu'il avait connu à Venise quand il y avait vécu, dans les années 1570, sous le pseudonyme (orthographié à la mode espagnole) de Turquetto, le "petit Turc".

En fait, le vrai nom de l'artiste était Elie Soriano et il était juif. Il avait fui sa ville natale, Constantinople, parce que son art du portrait heurtait aussi bien les credo obscurantistes de ses coreligionnaires que des musulmans intégristes, pour qui Dieu a interdit toute représentation figurative. Seuls les Fatimides chiites, en Egypte, avaient osé braver l'interdit. Elie, lui, son père mort, décide de gagner Venise, mère des arts, où il pense pouvoir exercer librement le sien. Il prend un nom grec - donc chrétien : Ilyas Troyanos. Puis devient "il Turchetto", ou plutôt Turquetto.

Et tout semble lui réussir : commandes, fortune, gloire, amour, estime de ses pairs - dont le grand Titien... Jusqu'au jour où, à la suite d'un complot de jaloux, ses origines juives sont révélées. Le voici accusé d'hérésie, de mensonge, emprisonné, menacé de pendaison et son oeuvre de l'autodafé. Heureusement, un nonce papal éclairé le sauve, et il parviendra à regagner son pays. Mais à Constantinople même, alors alliée de la Sérénissime, les sbires vénitiens le traquent. Il doit encore se cacher et gagner sa vie comme portefaix. Son besoin viscéral de peindre sera plus puissant que tout. Il exécute alors ce fameux Homme au gant, qui serait le portrait, de mémoire, de son défunt père tant aimé.

La preuve ? ce parfum d'encens unique dans l'encre du T de la signature, recette héritée de Djelal, le fabricant musulman chez qui il étudia enfant, mort lui aussi depuis si longtemps... Se non e vero, e bene trovato. L'histoire est belle en tout cas. Même si le roman aurait gagné à être plus nerveux, surtout au début, et moins alourdi par des passages dialogués censés faire plus "couleur locale". Le Turquetto, apparemment, avait une palette plus sobre.

31.05 2016

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