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Ventes : un été sous tension

La librairie L’Œil écoute à Paris (6e), le 26 août 2016. - Photo Olivier Dion

Ventes : un été sous tension

Après trois étés jugés satisfaisants, les librairies ont souffert cette année d’une baisse de fréquentation en juillet et en août.

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Par Clarisse Normand
Créé le 02.09.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 02.09.2016 à 08h26

Pas fameux", "compliqué", "crispé", "tendu" sont des qualificatifs fréquemment utilisés par les libraires pour décrire l’activité pendant l’été 2016. Pour juillet, notre baromètre Livres Hebdo/I+C fait même ressortir une baisse des ventes de 5 %, ramenée à 4 % en données corrigées des jours ouvrables (les données d’août seront connues fin septembre). Pour les libraires, l’activité a surtout été pénalisée par une baisse de fréquentation. C’est particulièrement le cas à Paris où le climat d’insécurité lié aux attentats a provoqué un important recul du tourisme d’origine étrangère, mais aussi française. Selon un premier bilan estival du Comité régional du tourisme de Paris Ile-de-France, la fréquentation touristique a baissé durant la saison estivale de 6,4 %, avec - 9,9 % pour la clientèle internationale et - 3,5 % pour la clientèle française. Un phénomène qui touche de plein fouet les librairies parisiennes situées dans des zones touristiques comme Gibert Jeune, place Saint-Michel, ou L’Œil écoute, à Montparnasse, où Armelle Lainé-Vairet évoque "une baisse des ventes de 8 % en juillet et août, dans le prolongement d’un printemps difficile avec les violentes manifestations survenues dans le quartier".

Absence de locomotives

A Nice, où la saison touristique a été mise à mal par l’attentat du 14 juillet, Patrick Esclapez (Jean-Jaurès) évoque un effondrement des ventes de 20 % durant les quinze jours qui ont suivi, alors même que la librairie, dit-il, "a été un vrai lieu de rencontres pour nos clients qui ont eu besoin de venir nous voir, de nous parler. Mais, quand ils nous achetaient des livres, c’étaient des choses légères." Ce que confirme Jean-Marc Fraimout (Masséna). "Les gens ont eu envie de se changer les idées et de se divertir", observe le directeur de l’établissement niçois, qui annonce un repli de 5 % de l’activité en juillet et une stabilité en août.

A l’échelle nationale, Jean-Luc Treutenaère, directeur des relations extérieures chez Cultura, considère lui aussi que l’été "n’a pas été fameux, ni en juillet ni en août". Il invoque non seulement le climat économique et psychologique, mais aussi la météo. A la librairie Trait d’union, à Noirmoutier, Bénédicte Deprez constate : "L’été a été contrasté avec un bon mois de juillet, mais un mauvais mois d’août lié à la canicule survenue durant la semaine du 15 août, cruciale pour nous. Au lieu des 8 000 euros journaliers que nous réalisons traditionnellement cette semaine-là, nous étions cette année à 3 500 euros !" Pour Antoine Fron (Les Traversées, à Paris 5e), qui enregistre aussi une baisse de fréquentation : "L’été, comme le début de l’année, a surtout souffert d’un manque de locomotives. Résultat : je n’ai eu cet été que 7 titres qui ont dépassé les 50 exemplaires de ventes contre le double l’an dernier."

Devant cette relative pauvreté de l’offre éditoriale, Thierry de La Fournière (Nouvelles Impressions, à Dinard) apprécie d’avoir pu vendre un grand nombre de titres, non seulement ceux faisant partie des meilleures ventes comme L’amie prodigieuse d’Elena Ferrante, Le charme discret de l’intestin de Giulia Enders, ou En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut, mais aussi des coups de cœur, à commencer par Sorbonne plage d’Edouard Launet (Stock). Au Furet du nord, Nathalie Deleval, chef de produit livre, évoque un été en demi-teinte "soutenu en août par la sortie du nouveau Harry Potter en VO dont nous avons vendu plus de 2 500 exemplaires. En revanche, note-t-elle, on note une baisse significative sur le créneau de la new romance qui avait profité l’an dernier de Cinquante nuances de Grey par Christian d’E. L. James."

Hausse des retours

Pourtant, l’été n’a pas été négatif pour tout le monde. Profitant d’une belle saison touristique à Arcachon, Anne Giraudeau (La Librairie générale) se félicite d’une hausse de près de 10 % de son activité en juillet et en août et évoque le coup de pouce apporté par Le Camion qui livre du Livre de poche : "Il nous permet de porter nos choix hors des murs et de toucher une autre clientèle." Sans donner de chiffre, ni même de tendance, Coralie Piton, directrice du livre à la Fnac, observe que "dans un contexte difficile, les ventes de livres ont été plutôt bonnes cet été". Chez Mollat, à Bordeaux, Pierre Coutelle parle d’un "été correct, sans succès phénoménal mais avec de jolies performances de nos coups de cœur parmi lesquels Le nuage d’obsidienne d’Eric McCormack". A La Librairie lorguaise (Lorgues), Michel Paolasso évoque aussi "une dynamique correcte marquée par un rééquilibrage des ventes entre juillet et août, alors que juillet est traditionnellement plus fort. Ici, ni l’Euro, ni les JO, ni les attentats n’ont impacté l’activité."

 

Espoirs pour la rentrée

A Amboise, Pascale Delaveau (C’est la faute à Voltaire) estime avoir maintenu ses ventes et réaffirme sa pratique consistant à mettre en avant, "non pas des "lectures d’été", mais des titres reçus au cours de l’année dont la qualité est parfois passée inaperçue dans le flot des nouveautés. Du coup, se réjouit-elle, je ne retourne rien avant la fin août." Malgré tout, confrontée à une activité compliquée depuis le début de l’année, nombre de libraires ont davantage retourné cet été. Au CDE, Marc Plocki, directeur des ventes, observe cette hausse significative des retours. Et chez Prisme, qui gère 40 % des flux retours du secteur, le directeur, Bouchaib Moudakir, observe "une hausse de 3 % des retours à fin août, en cumulé sur les huit premiers mois, après un début d’année stable".

Pour la rentrée, les libraires oscillent entre optimisme et prudence. Ceux qui font du scolaire misent sur une dynamique liée aux réformes des programmes, du primaire au collège. Plus généralement, la profession table sur l’arrivée des nouveautés littéraires. "Bien qu’il n’y ait pas de grosses locomotives, la rentrée s’annonce très ouverte avec beaucoup de choses tentantes", se réjouit Antoine Fron. Mais le libraire ne cache pas pour autant une certaine inquiétude au moment où l’on entre simultanément dans une année électorale.

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