18 août > Roman France

En 2014, Une vie à soi (Flammarion), où Laurence Tardieu racontait sa rencontre avec l’œuvre de la photographe américaine Diane Arbus, marquait la sortie d’un désert d’écriture consécutif à la publication de La confusion des peines (Stock, 2011), vitale lettre au père. Dans L’écriture et la vie (éditions des Busclats, 2014), un journal de reconquête préfacé par Jean-Marc Roberts, qui fut son éditeur jusqu’à sa mort et en avait trouvé le titre, elle revenait sur l’impression stérilisante de fausseté qu’elle avait éprouvée avec ses mots, après ce livre né dans la douleur. L’année dernière, la vie a une nouvelle fois fourni à Laurence Tardieu le sentiment d’urgence et de nécessité, la recherche de vérité dont elle a besoin pour accoucher d’un livre. A la fin le silence, plombé de plusieurs deuils et éclairé par une naissance, fait entrer en collision des enjeux intimes majeurs.

Le mercredi 7 janvier 2015, jour de l’attaque à Charlie Hebdo, l’écrivaine de 42 ans, déjà mère de deux filles, est enceinte de cinq mois et demi. Depuis quelques semaines, elle essaie de sauver par l’écriture une perte annoncée : la vente prochaine de la Cybèle, une maison de famille construite en 1975 sur les hauteurs de Nice par ses grands-parents maternels émigrés d’Italie dans les années 1930. Elle a déjà écrit une soixantaine de pages pour sauvegarder la mémoire de cette "maison mère", ce refuge unique qui lui apporte "le réconfort de la permanence". Mais deux jours plus tard, avec la prise d’otages de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, elle dévisse complètement. Les frontières entre intérieur et extérieur, dedans et dehors dont le corps "garantissait l’ultime délimitation" deviennent poreuses. Dans de longs paragraphes sans point, comme souffle coupé, Laurence Tardieu écrit l’hébétude, cette angoisse panique impossible à raisonner, cet état de sidération qui déconnecte sa capacité à comprendre, cette sensation physique d’effondrement, de suffocation, de "dispersion", de dépossession de soi. La vulnérabilité devant la certitude d’un désastre sans fin et devant "l’imprévisible au cœur de nos vies". Une chute que la grossesse exacerbe, organiquement, déclenchant des réflexes de survie. Elle assiste à "la défaite des mots, la défaite du réel, la défaite de tout". Cherche malgré tout du réconfort dans les mots des autres, Zeruya Shalev, Aharon Appelfeld, David Grossman… "Il faut retrouver le sentiment de joie intérieure", se répète-t-elle en boucle pour sortir de l’insensé. A la fin le silence dit cette quête-là : celle de l’écriture et de la vie. Après ça. Véronique Rossignol

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