21 août > Roman France

Malgré son ironie sous-jacente, La condition pavillonnaire n’est pas un roman d’une folle gaieté et on sort étrangement noué de la lecture du troisième livre de Sophie Divry qui, après La cote 400 (2011, disponible en 10/18), a suivi son éditrice Brigitte Bouchard des Allusifs à la collection "Notabilia" chez Noir sur blanc où elle a publié Journal d’un recommencement en 2013. Quelque part entre Flaubert, Maupassant et Annie Ernaux, la romancière retrace la trajectoire d’une femme, membre d’une famille française provinciale, dans la deuxième moitié du XXe siècle, tramant un parcours singulier dans le temps collectif. Désignée à la deuxième personne, par ses seules initiales M. A., l’héroïne, fille unique d’un père carrossier et d’une mère employée municipale dans un village d’Isère, migre vers la petite-bourgeoisie grâce à la promotion par l’école autorisée dans ces années-là : études d’économie à Lyon, rencontre avec François en 1974, installation du couple à Chambéry où l’homme devient courtier en assurances, mariage en 1978, entrée la même année dans une entreprise de meubles, acquisition à crédit de la maison avec jardin dans une zone péri-urbaine gagnée sur les terrains agricoles, naissance de deux premiers enfants puis d’un troisième, décalé… Tout est programmé, balisé : devenir propriétaire, s’installer, fonder une famille… Consommation et reproduction comme idéal d’accomplissement. Dans cet itinéraire fait de cycles intimes et de rituels sociaux, la femme, "reine et esclave à la fois" du foyer, est peu à peu minée par une insatisfaction diffuse, coincée dans une vie plate sans grands drames où la seule aventure est une liaison adultère avec un collègue de travail. Avant la pente douce vers la vieillesse sur fond de crise : licenciement économique, ménopause, départ des enfants, retraite, "rides ordinaires"

Si certaines manifestations de son désir d’"événements" pour animer le quotidien (consultation d’une voyante, initiation au yoga, séances chez le psy, expérience de bénévolat humanitaire) sont plutôt comiques, on peut aussi regarder cette femme, piégée dans une vie commencée dans une chambre d’enfant et qui s’achève dans la solitude d’une cuisine devant un frigo ronronnant, comme un poignant personnage tragique.

Véronique Rossignol

Les dernières
actualités