Boulou, Frida, Paul, Suzanne & les autres. Tout commence en 1884, lors de la conférence de Berlin. Victorieuse de la France en 1871, l'Allemagne se voit autorisée à se tailler un empire colonial en Afrique noire : le Togo et le Cameroun lui sont dévolus, ainsi que le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie), où les Prussiens perpétreront l'un des premiers génocides de l'Histoire, celui des Hereros, massacrés. Ailleurs aussi, face aux populations révoltées, les colons usent d'une répression féroce. Et même les peuples qui acceptent de traiter avec eux, comme les Batangas, voient leurs accords et leurs droits violés. C'est ainsi que le jeune Boulou Malapa, fils turbulent du Banilo, roi des Batangas, un peuple de la côte camerounaise venu d'Abyssinie, est envoyé en Allemagne, à Hambourg. Boulou, c'est le grand-père de l'auteur Benny Malapa, qui nous raconte les mésaventures de son aïeul et de sa famille, jusqu'à nos jours.
À Hambourg, Boulou séduit Frida, une jeune Allemande sans préjugés. Ils ont un fils, Paul, né en 1914, lequel est donc allemand, d'origine camerounaise. Mais la Première Guerre mondiale rebat les cartes. Durant le conflit, la France a conquis les colonies africaines allemandes, dont le Cameroun en 1916, les intégrant à son propre Empire - et non sans utiliser à leur égard les mêmes méthodes que les Allemands : exploitation, répression, esclavagisme. Voici Boulou et Paul officiellement français ! Quant au couple, il est en butte à la misère, au racisme, jusqu'à ce que Boulou émigre en France (avant d'être expulsé vers le Cameroun où il finira sa vie). Paul, qui l'a rejoint, fait la connaissance, à Paris, de Suzanne, une Ashkénaze née à Varsovie, qu'il va séduire. Il est beau garçon, possède un aplomb à nul autre pareil et commence à se faire une petite notoriété en tant que boxeur.
Ce sont Paul et Suzanne qui, en alternance et à la première personne, vont nous raconter leur histoire, démentielle et impossible à résumer, et celle de leurs familles, grâce à la plume de Benny Malapa, leur fils. Parmi les faits majeurs, l'arrestation, en 1942, puis la déportation et l'assassinat des parents de Suzanne, Leijbus et Malka Rubin, morts d'avoir fait confiance à la France, la patrie des droits de l'Homme, qui, pensaient-ils, les protégerait forcément du nazisme. On connaît la suite.
Le récit de Benny Malapa, producteur de rap dans les années 1990 et réalisateur, enchaîne les épisodes rocambolesques, à toute vitesse et sans toujours de datation précise. On s'y perd un peu, ainsi que dans tous les noms des personnages. Peut-être un arbre généalogique, à la fin, aurait-il été nécessaire. Mais le roman, qui court sur plus d'un siècle, rend bien compte des grands mouvements de l'histoire du xxe siècle, dont la famille Malapa a souvent été la victime : guerres, violence, crises économiques, colonisation... À la fin, Benny Malapa, à propos de ses origines multiples, écrit : « Sommes-nous juifs, africains, européens ? Nous sommes tout ça à la fois. » Un bel hymne à la fraternité, plus que jamais nécessaire aujourd'hui.
Un nègre qui parle yiddish
Fayard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 22,90 € ; 360 p.
ISBN: 9782213731186