Boîtes à livres : les raisons du succès

Olivier Dion

Boîtes à livres : les raisons du succès

Malgré leur discrétion, les boîtes à livres rencontrent un indéniable succès. Une enquête menée auprès de plus de 1 300 usagers vient de révéler la diversité des usages et des publics de ce dispositif. Ce texte qui synthétise les résultats a été largement lu (plus de 90 000 vues) et relayé par plusieurs médias (France Culture, Slate, France 3 Lorraine). Comment rendre compte de l’intérêt suscité par les boîtes à livres ? Qu’est-ce que cela dit de qui sont les lecteurs aujourd’hui ?

L’installation et la persistance des boîtes à livres correspondent à un rapport renouvelé au monde et aux autres, comme le révèle une récente enquête. Nos contemporains aspirent à leur autonomie. Ils sont à l’affût de tout ce qui leur permettra de construire leur propre monde et de se définir comme des personnes. Le numérique a su leur proposer un univers de choix, d’abondance de contenus, de disponibilité, d’expression de soi, le tout tenant dans une poche. Les boîtes à livres peuvent être vues comme la transposition dans le monde réel et matériel de la même aspiration. En quoi, soutiennent-elles l’autonomie de leurs publics c'est-à-dire leur possibilité de construire un monde à eux ?

Accessibilité

Les boîtes sont ouvertes en permanence et laissent à l’usager la totale maîtrise des moments de ses visites. Nulle porte à pousser pour découvrir les collections, l’espace public est leur cadre dans sa neutralité et sans une institution qui préempte une partie de sa signification. Les livres sont offerts au milieu d’autres propositions : une place, un café, un parc, etc. De ce point de vue, elles ressemblent plus au rayon livre d’un supermarché ou à un temple profane dédié à la lecture qu’à une bibliothèque ou une librairie. 

Pas de contraintes

L’accès au livre ne demande aucune contrainte autre que celle de venir sur place, les boîtes à livres étant le plus souvent à proximité des usagers. L’interaction avec les livres se fait sans intermédiaire. Misanthropes et timides n’ont pas même à saluer le personnel… L’absence de contraintes permet aussi d’échapper à une procédure d’inscription ou à un paiement.

Gratuité

Quand il suffit de se servir, choisir un livre porte moins à conséquences. La lectrice (les femmes sont plus nombreuses que les hommes) peut s’autoriser des expériences de lecture inédites. Ce serait la même chose pour les jeunes mais ils sont moins attirés par les boîtes… La gratuité crée les conditions économiques du surgissement immédiat d’un texte dans une vie personnelle.

Un usage personnel

Cette liberté d’accès ouvre la voie à un usage personnel, c'est-à-dire en dehors d’un accompagnement. Les enfants peuvent s’affranchir de leurs parents, les conjoints de leur conjoint, les amis de leur bande, etc. Ainsi dépouillé de leurs appartenances, les lecteurs peuvent découvrir des livres, explorer des sujets, entrer dans des univers qu’ils choisissent comme leur.

Aux plaisirs de Serendip

Au gré des dépôts et des prélèvements, les rayons de la boîte changent régulièrement de façon imprévisible. Et c’est justement ce qui fait le plaisir de nombre d’usagers. Leur visite est motivée par la possibilité de dénicher une « pépite » dont la valeur peut être économique (pour les rares mais décriés prédateurs) mais aussi personnelle (souvenirs d’un lieu, d’une personne, d’un auteur, etc.). 

Relations entre égos égaux

Les visiteurs se succèdent sans hiérarchie. Chacun a les mêmes pouvoirs. Et, dans cette relation d’égalité, les visiteurs échangent entre eux à travers les livres qu’ils déposent et ceux qu’ils prennent. Ils donnent à voir une partie d’eux-mêmes. Des complicités et des divergences émergent et sont perçues le plus souvent de façon asynchrone mais aussi parfois en direct. Et c’est ainsi que peuvent naître des échanges ou se creuser des silences : c’est depuis la personne (entre ouverture et fermeture) que s’apprécie la possibilité de la relation. 

Faire société

Le partage d’un même espace public, d’une même pratique (la lecture de livres), quand bien même il révèle des différences, participe de la construction d’un lien entre citoyens. Par-delà ce qui pourrait les séparer, ils sont rassemblés par l’éventualité même d’une divergence. Le lien social n’est pas donné, il se construit dans cet espace public et, de façon plus ou moins consciente, les visiteurs des boîtes à livres apprécient d’y participer.

Les boîtes à livres entrent en résonance avec la manière dont nos contemporains se pensent et perçoivent le monde. Elles incarnent une forme de revendication pour une horizontalisation des rapports sociaux. Les librairies et les bibliothèques ne sont pas le seul moyen d’accéder aux livres. La « souveraineté sur soi » (D. Martuccelli, 2002) passe aussi par ce dispositif modeste qui témoigne de la recherche d’un lien social concret, électif, réversible et nourri par la singularité de chacun. On peut penser que toute évolution de l’offre des librairies et des bibliothèques allant dans cette direction trouvera dans la population un intérêt, une adhésion. Les boîtes à livres sont moins des concurrentes qu’une sorte de révélateur d’attentes de la part des lecteurs.

13.02 2024

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