Sans plus attendre Goudeau. L'héroïne fiche le camp. Elle quitte une banlieue minable et sa vie à vomir pour fuir « Chéri ». « Chéri » qu'elle n'arrive pas à appeler Vivien, son conjoint, qui la violente, la viole, lui crache au visage. Elle, c'est Éléonore Poussière, dont le patronyme reflète l'importance qu'elle s'accorde. Elle est blonde aux yeux immensément bleus, se trouve laide, petite à grosses fesses. Sa famille, c'est sa meilleure amie, avec qui elle va partager un logement parisien. Éléonore travaille comme hôtesse d'accueil au ministère du Travail. Rien de reluisant dans ce portrait, si ce n'est qu'Éléonore brille. Elle « irradie » d'une lumière intérieure comme nulle autre pareille. Dans l'hiver glacial qui s'est abattu sur Paris, c'est ce que va capter Vérité, une street artiste aux cheveux verts. À coups de pochoirs, Éléonore devient le soleil pariétal d'une œuvre en bleu (ses yeux) et jaune (son écharpe), qui s'étale sur les murs de la capitale, en quinze exemplaires. L'artiste demeure inconnue, tandis qu'on reconnaît peu à peu son modèle, jusqu'à la célébrité : compte Instagram à 200 000 followers, et télé.

Par ailleurs, il y a Félix, comme un point fixe. Il est malvoyant - comme l'autrice, Camille Goudeau -, tient seul un bar-restaurant, La Panthère Vénère. Dernièrement, deux choses sont venues perturber sa routine : la disparition d'une relique qu'il conservait dans un pot de confiture sur le bar, une araignée rare originaire d'Écosse, cadeau de son père, qui s'est un jour pendu au balcon ; et l'arrivée d'une serveuse aux cheveux verts, Vérité. Par son entremise, Éléonore et Félix vont s'approcher, se frôler, se rater, jusqu'à la fin la plus brève et jolie qui soit : « Ça brille putain. »

On pense à la fantaisie revigorante d'Adeline Dieudonné dans La vraie vie, au Paris sublimé bizarre d'Amélie Poulain, ici version noire et chaotique. Tout est singulier ici, ultrapoétique, même l'autrice. Camille Goudeau est libraire sur les quais à Paris, mais également actrice, primée au festival Premiers Plans à Angers pour son rôle dans un court-métrage. Elle a aussi eu le premier rôle dans Droit de regard, téléfilm sur la cécité inspiré d'une histoire vraie, diffusé sur France 2 en 2024. Alors qu'elle a été repérée par Gallimard pour son premier roman Les chats éraflés en 2021, ce sont les éditions Michel Lafon qui soutiennent désormais cette autrice à l'image de son héroïne : brillante.