Avant-critique Roman

Catherine Millet, "Commencements" (Flammarion) : Les rencontres miraculeuses

Catherine Millet - Photo © Pascal Ito/Flammarion

Catherine Millet, "Commencements" (Flammarion) : Les rencontres miraculeuses

Dans ce roman autobiographique, Catherine Millet retrace l'éveil esthétique et sentimental d'une jeune femme choisissant l'art comme centre de sa vie et de ses écrits.

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Par Laëtitia Favro
Créé le 30.08.2022 à 12h00

Adolescente, Catherine Millet lit Nadja d'André Breton et se rêve en Nadja. Peut-être parce qu'en russe, Nadja « est le commencement du mot espérance, et parce que ce n'en est que le commencement ». Son existence, elle ne la vit encore qu'à travers les livres qu'elle dévore, sous le toit familial où résonnent les disputes de parents rongés par le désamour et par une morale bourgeoise que Mai 68 viendra bientôt titiller. À 16 ans, la narratrice ne doute pas « d'appartenir à une autre catégorie d'êtres humains que [s]es parents ». Une certitude confortée par sa rencontre avec un groupe de garçons à peine plus âgés qu'elle, avec lesquels elle se lie intellectuellement, sentimentalement aussi. Parmi eux, Patrick qui, frais bachelier, fait la connaissance d'une jeune poétesse lui inspirant une nouvelle revue de poésie, Strophes. Ciment de leur amitié, la création artistique contemporaine (qui ne porte pas encore le nom d'« art contemporain ») modèle leurs ambitions. Au seuil du grand saut dans le vide que représente toute entrée dans l'âge adulte, et à la veille de refermer définitivement la porte de l'appartement familial, la lectrice de Nadja entrevoit « un avenir dont la part d'inconnu était forcément plus vaste et plus grisante que les constructions imaginaires de [s]on enfance. »

« Mais je n'avais pas trop à m'en faire, poursuit-elle rétrospectivement, car les circonstances de la vie, de la vie réelle, me conduisaient sans que j'aie à les chercher vers ces rencontres miraculeuses que j'attendais depuis que j'avais commencé à lire des romans. » Parmi ces rencontres, Louis Aragon, aux commandes des Lettres françaises, grand hebdomadaire culturel où elle fait ses débuts avant de fonder la revue Art Press avec le galeriste Daniel Templon. Puis viendront les artistes de SoHo au printemps 1970, « car le voyage à New York faisait partie du parcours initiatique de quiconque aspirait à se mêler d'art d'avant-garde ».

Au diapason d'une époque qu'elle a l'élégance de ne pas écraser d'une nostalgie laissant de côté ceux qui ne l'ont pas vécue, Catherine Millet évoque des « commencements » qui, s'ils doivent beaucoup aux contingences du destin, reposent sur la volonté de vivre en esprit libre. Rencontrant nos propres cheminements et interrogations, sa plume est un hommage au vertige des possibles qui nous saisit tous, mais avec lequel il nous est possible de composer une vie à notre image.

Catherine Millet
Commencements
Flammarion
Tirage: 20 000 ex.
Prix: 20 € ; 320 p.
ISBN: 9782081486218

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