Avant-critique Entretiens

Chantal Thomas, Fabrice Lardreau, "L'étreinte de l'eau" (Arthaud)

Chantal Thomas - Photo © Philippe MATSAS/Leextra via opale.

Chantal Thomas, Fabrice Lardreau, "L'étreinte de l'eau" (Arthaud)

Dans L'étreinte de l'eau, recueil d'entretiens, Chantal Thomas revient sur ce qui l'a façonnée : la nage, l'eau, le sable, les livres, une infinie douceur des choses.

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Par Olivier Mony,
Créé le 20.05.2023 à 11h00 ,
Mis à jour le 01.06.2023 à 17h15

La grâce de la disparition. Chantal Thomas, c'est Hergé. C'est-à-dire qu'elle va au fil des livres toujours plus vers l'épure, toujours plus vers la ligne claire, toujours au plus près de sa vérité ; comme le petit reporter à la houppe finissant par se dissoudre en quelque sorte, dans le blanc infini des choses dans Tintin au Tibet. Quelque chose comme ça. Et si l'académicienne compte aussi parmi ses mondes mouvants tant aimés les montagnes, la neige (une autre sorte de sable pour elle...), elle en tient tout de même plutôt pour la nage, les plages, enfance arcachonnaise oblige ainsi que dilection profonde pour tout ce qui fuit, s'échappe, garantit l'expression d'une impérieuse liberté. C'est ce dont témoignaient à des degrés divers, mais avec une puissance narrative inégalée, ses derniers livres, Souvenirs de la marée basse (Seuil, 2017), De sable et de neige (Mercure de France, 2021) ou Journal de nage (Seuil, 2022). Elle y revient encore dans ce passionnant recueil d'entretiens qu'elle a accordés à l'écrivain Fabrice Lardreau, dans l'excellente collection « Versant intime » qu'il dirige chez Arthaud.

On a compris, direz-vous peut-être. Oui, sauf que chez Chantal Thomas, comprendre n'est rien ou si peu. Ce qui compte, c'est sentir, ressentir, pressentir. Tout en évoquant ses lectures fondatrices, ses rencontres majuscules, Kerouac, Ginsberg, Patti Smith, elle dit ici des choses qu'elle n'avait peut-être jamais dites avec cette clarté-là. Des choses comme : « un des traits fondamentaux de ma jeunesse à Arcachon est sans doute le fait que je ne rêvais pas d'un ailleurs. » Ou comme : « la nage peut constituer un bon moyen [...] simplement pour disposer de soi-même. Il s'agit de ces monstres que l'on porte en soi, tapis au fond de nous − nos démons intérieurs, nos angoisses, nos peurs, le poids des deuils et des déceptions. » Ou encore comme : « il ne reste rien derrière le nageur et le skieur, si ce n'est une trace aussitôt disparue. Cet effacement, cette absence de mémoire, se combinent avec ma vision de l'existence, mon attention à l'instant et au sentiment d'impermanence... » Car ne nous y trompons pas, cette femme pratique à la perfection l'art trop rare de la disparition. Dont procèdent, le désir, la grâce et le manque...

Chantal Thomas, Fabrice Lardreau
L'étreinte de l'eau
Arthaud
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 13 € ; 192 p.
ISBN: 9782080281623

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