Avant-critique Roman

Chloé Delaume, "Ils appellent ça l'amour" (Seuil)

Chloé Delaume - Photo © Bénédicte Roscot

Chloé Delaume, "Ils appellent ça l'amour" (Seuil)

Rentrée littéraire

Cinq amies se retrouvent à la campagne pendant un week-end, et une histoire enfouie dans l'oubli ressurgit. Un roman de Chloé Delaume pour dire la difficulté à parler des relations d'emprise.

Parution 22 août

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Par Marie Fouquet
Créé le 16.06.2025 à 09h00

Thérapie de groupe. Après son dernier roman gore et drôle Phallers, Chloé Delaume délivre un récit romanesque plus intime mais tout aussi empreint de conscience féministe et s'articulant également autour d'une organisation sororale. Ils appellent ça l'amour raconte les violences et les viols conjugaux, et la honte qui fait taire les femmes, même au sein de leur cercle amical, lorsqu'il s'agit d'évoquer une relation d'emprise. Chloé Delaume met en scène un groupe de copines parisiennes qui se retrouvent dans une charmante maison de campagne pour le week-end de la Toussaint. Les cinq femmes, qui ont entre 30 et 50 ans, ont toutes des parcours de vie bien différents : Judith est mère de famille ; Bérangère multiplie les aventures à partir de ses applis de rencontre ; Clotilde est célibataire et consacre son temps à l'écriture ; Adélaïde est fatiguée de l'hétérosexualité mais ne veut pas feindre d'autres orientations sexuelles ; Hermeline, lesbienne, s'interroge sur son indépendance face à la suprématie masculine. Leurs retrouvailles dans ce cadre champêtre vont donner lieu à une mission commune, une aventure pour panser une ancienne souffrance. Car l'une d'entre elles ne vient pas en ce lieu avec la même légèreté que les autres : pour Clotilde, ce village cache une vieille histoire, un secret lourd. Son attitude étrange éveille les soupçons de certaines de ses amies jusqu'à ce qu'elle se mette à parler, malgré ses premières réticences. « Raconter cette histoire, c'est dire qui elle était, ce en quoi elle croyait et où ça l'a menée. » Une vingtaine d'années auparavant, Clotilde avait vécu à quelques rues de là, dans la maison de son compagnon professeur d'histoire et écrivain, de vingt ans son aîné, qui l'entretenait alors qu'elle commençait elle-même sa carrière d'écrivaine. « Quand on n'est pas bourgeoise, profession écrivaine, c'est assez difficile », affirme Clotilde en se remémorant la violente histoire de cette relation. « La honte est réactive : quand on est attaqué, on se défend par une réaction agressive contre la source de l'assaut ou l'environnement externe. Mais lorsque la honte est intériorisée, cette réaction se trouve bloquée, et la haine se retourne inéluctablement contre soi-même. » Clotilde raconte en détail la rencontre et le quotidien avec un homme dominant arrivé comme un « chevalier blanc ».

Le ton à la fois faussement fleuri mais aussi sec et piquant de la protagoniste apporte une savoureuse légèreté et un certain humour à l'intrigue, portée par des phrases bien plus explicites : « Le couple est un gouffre à bout de soi, ce que l'on appelle un compromis n'est rien d'autre qu'un renoncement. » Ou encore : « Comme le disait Gisèle Halimi "Toutes les luttes n'en font qu'une", ces luttes doivent s'imbriquer. Même si c'est difficile dans un pays raciste, colonialiste, patriarcal, où la culture du viol soutient la drague à la française. » En délivrant le récit de son expérience destructrice et en suivant la décision commune d'une action aventureuse mais efficace, -Clotilde parvient finalement à « retrouver son visage ».

Chloé Delaume
Ils appellent ça l'amour
Seuil
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 19 € ; 176 p.
ISBN: 9782021569490

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