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Collectif sous la direction d'Élisabeth Dutartre-Michaut, "Aron" (L'Herne) : Actualité d'Aron

Cours à l'ENA, 1945-1946. - Photo © Dominique Schnaper/Éditions de L'Herne

Collectif sous la direction d'Élisabeth Dutartre-Michaut, "Aron" (L'Herne) : Actualité d'Aron

Un « Cahier » de L'Herne consacré Raymond Aron, penseur politique de l'après-guerre et rival de Sartre, sous la direction d'Élisabeth Dutartre-Michaut. Tirage à 2500 exemplaires.

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Par Sean Rose
Créé le 28.02.2022 à 10h00 ,
Mis à jour le 08.03.2022 à 18h26

Zeitgeist est l'expression allemande qui se traduit littéralement par « esprit du temps ». Le temps ici n'est pas une personnification du concept de durée, pas plus que son esprit une sorte de providence. Moins une volonté qu'un climat, le zeitgeist. Toujours est-il que le ciel, selon qu'il est bleu ou gris, n'est pas sans influer sur notre manière de percevoir les choses. Dans les années 1960 et 1970, il souffle sur l'époque un petit vent de progrès. Dire « intello de gauche » était d'ailleurs une manière de pléonasme. Pas qu'on ne pensât pas de l'autre bord de l'échiquier politique, mais l'avant-garde pensante était plutôt accro à Marx. Nul n'entend alors dépasser le clivage gauche-droite, le zeitgeist de ces années-là ignore le non-binaire : c'était pro-Américains ou contre la guerre du Vietnam ; Sartre et pas Aron, et inversement : quitte à ce que les faits contredisent les idées du premier, selon le mantra des sartriens, mieux vaut avoir tort avec le philosophe engagé que raison avec l'historien inquiet. Depuis, l'eau a coulé sous les ponts, et charrié les cadavres et bien des illusions... Les éditions de l'Herne consacrent leur nouveau « Cahier » à Raymond Aron (1905-1983) qui connaît un certain retour en grâce au sein de la communauté des chercheurs en sciences sociales et politiques. Un séminaire dédié à ses travaux s'est tenu à l'EHESS entre 2017 et 2019, dont nombre de contributions ont nourri le présent ouvrage dirigé par Élisabeth Dutartre-Michaut.

Vision de l'histoire, rapport à la vérité, conception des relations internationales, engagement dans la cité par le truchement du journalisme (quoique lucide sur les limites de l'exercice puisque l'éditorialiste de Combat puis du Figaro n'a jamais cessé de vouloir penser librement)... Sont ici exposées les multiples facettes de l'auteur de L'opium des intellectuels (1955), qui fustigeait une intelligentsia française aveuglée par l'idéologie. Raymond Aron fut l'introducteur de Max Weber en France. Ces deux-là allaient souffrir d'une incompréhension jumelle de la part de leurs contemporains, comme le souligne l'essai de Vincent Genin « Aron /Weber. Chemins d'hétérodoxie et de solitude ». C'est qu'Aron est un classique au service de la modernité : le « modéré avec excès » détestait le militantisme politique et avait ceci de commun avec Hannah Arendt, selon Daniel Cohn-Bendit, d'avoir été anticommuniste et partant détesté par toute une partie de la gauche. Et l'ex-leader du mouvement de Mai 68, de concéder : « La plus-value de la pensée aronienne, c'est son scepticisme sociétal, qui l'amène à un positionnement d'ultra-vigilance en ce qui concerne la démocratie. » À l'heure où l'on déboulonne les statues, se rappeler comment il définissait l'histoire : « Une sorte de rencontre avec des hommes différents de ceux que nous sommes, et la rencontre de l'autre a une vertu intrinsèque. » Pour nous exorciser d'un zeitgeist sans nuance, prompt à jeter l'anathème, relisons Aron.

Collectif sous la direction d’Élisabeth Dutartre-Michaut
Aron
L'Herne
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 33 € ; 280 p.
ISBN: 9791031903378

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