5 JANVIER - ROMAN Brésil

Chico Buarque- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Chico Buarque, 67 ans, immense auteur-compositeur-interprète de la MPB, la musique populaire brésilienne, est un poète crooner prolifique mais, depuis qu'il a commencé l'écriture de romans au début des années 1990, un écrivain plutôt rare. Jusqu'ici, trois titres avaient été traduits en français : Embrouille (Gallimard, 1992, repris en Folio), Court-circuit (Gallimard, 1997) et le très malin et très littéraire Budapest (Gallimard, 2005, repris en Folio).

Quand je sortirai d'ici est une saga balzacienne avec des arrangements cariocas. En un peu moins de 200 pages, on traverse plus de deux cents ans de l'histoire de la famille Assumpçao et, à travers cette dynastie de dirigeants, de celle du Brésil. Grandeur d'une lignée composée de propriétaires terriens, de courtiers en café, de marchands d'armes, de barons de l'Empire arrivés au Brésil avec la cour portugaise, de sénateurs, d'abolitionnistes radicaux, toute une galerie d'ancêtres, notables riches et puissants... Et décadence de ses derniers représentants, déclassés et ruinés...

Celui qui évoque ses aïeux et sa descendance est l'un des membres de cette famille, Eulalio, centenaire au bout du rouleau, qui a peu de chances de sortir un jour de l'hôpital pour nécessiteux dans lequel il a été placé. De son lit, il prend à témoin les infirmières, sa fille, sa mère, les autres malades ou n'importe quel fantôme qui veut bien l'écouter. Il radote, ressasse les souvenirs qui surgissent dans la chronologie aléatoire de la sénilité. Au milieu du délire, de la confusion mentale et de la régression, il a des fulgurances d'images précises, des caprices de vieil enfant gâté et de fils à papa qui a connu ce temps où l'on parlait français pour les "affaires », où le Pleyel trônait dans le salon à banquets de la grande demeure familiale remplie de domestiques à Rio, où il partait enfant chaque été en transatlantique à vapeur pour aller passer ses vacances en Europe... Le temps d'avant les revirements de fortune, les escroqueries, les héritages bradés... "C'est pour lui-même qu'un vieillard répète toujours la même histoire, comme s'il en faisait des copies au cas où l'histoire s'égarerait. »

Certaines anecdotes reviennent ainsi en boucle, obsessions morbides : la première rencontre avec sa future femme, Matilde, très jeune fille d'un député, "à la peau presque café au lait » et au "tempérament ondoyant », qui a abandonné mari et bébé avant de mourir tragiquement.

Le portrait que dresse Buarque de cette élite brésilienne, corrompue, cupide, fière de ses privilèges, raciste... n'est pas très gratifiant. Il ne manque rien au récit de sa chute : assassinats, adultères, enfants naturels forment une hérédité mal assumée dont les effets sont dévastateurs d'une génération à l'autre. A la fois traversée virtuose et concentrée du siècle, et fiction des origines fine et documentée, Quand je sortirai d'ici réunit l'élégant sens du romanesque de Chico Buarque et sa culture de fils d'historien.

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