Qui a dit que les livres politiques n'intéressaient personne ? Petites chroniques d'une primaire écologiste , le document percutant de Matthieu Orphelin, qui fut le numéro 3 de l'état-major de campagne de Nicolas Hulot, publié sous forme d'ebook, avait déjà été téléchargé, à la date de jeudi matin, soit 24 heures après sa mise en ligne, à 25 000 exemplaires ! Et c'est sans doute loin d'être fini : d'abord accessible uniquement via le site de Libération , qui en avait l'exclusivité, le document est depuis ce jeudi importable au format PDF sur d'autres sites (notamment celui de Ouest-France ). Cette histoire éditoriale, qui constitue une première à bien des égards, mérite d'être racontée. Le 12 juillet dernier, la primaire écologiste prend fin avec la victoire d'Eva Joly. Matthieu Orphelin, conseiller régional Europe-Ecologie-Les Verts des Pays de la Loire et qui fut de l'équipe de campagne de Nicolas Hulot, se retrouve, du jour au lendemain, «  avec un emploi du temps dégagé  » : «  J'avais commencé par raconter des petits bouts de ce que j'avais pu voir ou entendre à des gens autour de moi, comme j'avais le sentiment que cela les intéressait, l'idée m'est venue d'écrire une sorte de journal de campagne  ». Il y consacre une partie de ses vacances. Le résultat ? «  Un micro livre  », selon sa formule, mais qui fait quand même 50 pages. Et la lecture en est tout à la fois édifiante et truculente : c'est un véritable récit de coulisses, comme aurait pu le trousser n'importe quel bon journaliste bien introduit. «  Ensuite, continue Matthieu Orphelin, se posait la question de le publier ou non. Je savais que les livres politiques pouvaient connaître des destins très divers. Jean-Luc Mélenchon a fait un succès de librairie, mais le livre de Chantal Jouanno [la secrétaire d'Etat à l'écologie], pourtant intéressant, n'a pas dépassé les 500 exemplaires. De toute façon, je n'avais pas écrit cela pour récolter des droits d'auteur. En revanche, je souhaitais que ça sorte rapidement et, si possible, toucher le plus de monde possible. Mon idée de départ était de faire simplement un PDF : en renonçant à une édition traditionnelle, sur papier, je savais pouvoir gagner quelques semaines. De cette manière, en effet, j'ai pu sortir à la veille des Journées d'été d'Europe écologie. Le timing était parfait. On a parlé de mon livre partout.  » Que veulent les politiques ? Qu'on parle d'eux ou de leur parti. La question des droits d'auteur est le plus souvent, à leurs yeux, subsidiaire. A moins d'un an des présidentielles, les éditeurs traditionnels pourraient donc s'inquiéter de voir l'exemple de Matthieu Orphelin donner des idées à d'autres personnalités politiques, qui préféreraient la « modernité » de l'ebook à la bonne vieille édition papier. D'autant que les « Petites chroniques » de Matthieu Orphelin ont connu une résonnance médiatique digne des gros coups d'édition. Et c'est là que l'histoire de ce livre constitue une autre première pour le secteur. D'ordinaire, les éditeurs traditionnels qui s'apprêtent à publier un document un peu « chaud » (politique ou autre), en orchestrent la sortie avec un média papier (quotidien ou hebdomadaire) qui aura l'exclusivité des bonnes feuilles. Mais cette fois, c'est le média lui-même (en l'occurrence, Libération) qui s'est chargé de l'éditing du document : « Libération avait eu vent de mon projet d'écriture. Ils m'ont convaincu qu'on pouvait faire bien mieux qu'un simple PDF  », explique Matthieu Orphelin. A Libération , en effet, le texte de Matthieu Orphelin a d'emblée été perçu «  comme un document très intéressant politiquement  », explique Florent Latrive, l'un des responsables web du quotidien. «  Mais il faisait 50 pages, et nous savions que l'Internet n'était pas l'endroit idéal pour une lecture au long cours  ». D'où l'idée de convertir le texte en différents formats «  pour offrir, selon les supports, la lecture la plus confortable possible  » : epub pour les téléphones intelligents et la plupart des liseuses ; mobi pour le Kindle, et Flash (via la plate-forme scribd, un site de partage de documents) pour le téléchargement sur ordinateur. A côté de ce travail d'editing de l'ebook, Libération met le paquet dans son édition papier : la couverture de l'édition de mercredi lui est consacrée, assortie de trois pages de bonnes feuilles. Les 25 000 téléchargements (tous formats confondus) enregistrés en moins de 24 heures auront sans doute conforté les responsables du projet, pour qui cette publication n'était en réalité qu'un «  ballon d'essai  » : «  Avec l'émergence d'une lecture confortable, de type codex, sur des appareils comme les liseuses, nous pouvons désormais envisager la création de produits d'édition numérique, issus du monde de la presse, en liaison ou non avec des éditeurs traditionnels  », explique Florent Latrive. Et d'avancer des exemples : «  La publication de monographies de candidats à l'élection présidentielle, qui seraient composées d'articles parus dans le quotidien, et que nous proposerions à la vente à nos lecteurs - mais bien sûr, à prix très étudié. On pourrait aussi envisager d'éditer des sélections thématiques. Le processus pourrait d'ailleurs être à double détente : tester, via un ebook, l'intérêt du public pour telle ou telle thématique, et ensuite décider d'en faire, ou non, une édition papier  ». Bref, les médias, qui ont en primeur accès à l'information, pourraient demain, grâce aux coûts dérisoires de l'éditing numérique, devenir de redoutables concurrents pour l'édition traditionnelle, qui se verrait ainsi totalement court-circuitée dans le secteur des documents.
15.10 2013

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