18 août > Roman France

Si la presse fait ses choux gras des faits divers, la littérature en tire aussi son miel. Le roman moderne foisonne d’exemples d’écrivains s’inspirant de drames réels : Flaubert et Madame Bovary, plus proche de nous Emmanuel Carrère, bien sûr. Mais François Bégaudeau ne nous avait guère habitués au genre, lui qui s’était inscrit dans une veine autobiographique avec ses Mémoires du "Nantais" (La blessure la vraie, Deux singes ou Ma vie politique, Verticales, 2011 et 2013) ou la confession désenchantée de l’arpenteur du champ de la critique littéraire (La politesse, 2015). Pourtant, pour lui comme ses pairs, le fait divers est "quintessentiel" de la fiction, d’un drame découle toute une histoire, et quoi de plus dramatique qu’un crime passionnel : "un homme tue une femme" est un très bon départ. Une affaire datant des années 1980 lui trotte depuis longtemps dans la tête… Avec son nouveau roman Molécules, l’idée se concrétise.

Jeanne Deligny est retrouvée à la sortie de l’ascenseur de son immeuble, visage lacéré de coups de cutter et carotide tranchée. Quand arrivent le capitaine Brun (la police comme le narrateur respectent l’orthodoxie grammaticale qui n’admet pas la féminisation du grade), une fan des tubes d’avant les années 1980, et son acolyte Calot, un mordu de statistiques, Mme Nunez, la gardienne, a déjà passé la serpillière autour du corps, éradiquant toute chance d’indice pointant vers l’assassin. La paire d’enquêteurs interroge le mari pharmacien de la victime, les employés du centre pour handicapés mentaux dit l’Asile avec lequel elle collaborait à travers son association, Didier, un patient très possessif. Conclusion : "Dans l’état actuel de leurs connaissances, de leur ignorance, la liste des coupables potentiels recoupe celle des Terriens, moins les paraplégiques et les grabataires inaptes aux escaliers." Et puis surgit de derrière les fagots, à savoir le placard où la concierge l’avait rangé, un sac plastique avec ticket de caisse doté d’un numéro de carte de fidélité du Bricorama d’Albertville, qui nous mène vers un certain Gilles Bourrel. L’homme a rencontré Jeanne il y a dix-sept ans et l’aimait d’un grand amour dont elle ne voulait pas.

François Bégaudeau renoue ici avec la fiction et forge un genre bien à lui mêlant enquête policière, questionnement métaphysique (l’incinération de Jeanne est l’occasion de magnifiques passages sur la mort) et une irrésistible ironie mâtinée d’un certain sens de l’absurde dans les dialogues (de sourds) entre les protagonistes. Paradoxalement, c’est à travers le romanesque qu’il signe un de ses textes les plus personnels. Sean J. Rose

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