Danse macabre. Après Antipodes (Casterman, 2024), un récit historique d'une grande richesse lumineusement mis en image par Éric Lambé et dont David B. avait écrit le scénario, on retrouve l'auteur de L'ascension du haut mal dans un récit fantastique dont il signe cette fois le texte et le dessin. La trame de ce Monsieur Chouette est simple : Marie, une jeune femme, a peur de tout, et surtout de son ombre. Elle croise un être psychopompe, Monsieur Chouette, qui lui propose de vaincre son angoisse en l'accompagnant au pays des morts où elle devra regarder la Mort dans les yeux. Marie se laisse tenter, mais, évidemment, son parcours sera kafkaïen et semé d'embûches. Il lui faudra notamment échapper à Cerbère, un chien capable de se détripler qui traque les vivants pour les détruire.
Revenant à certains de ses thèmes de prédilection - la mort, les mondes oniriques, les cauchemars, le mal -, David B. laisse libre cours à son imagination et privilégie la poésie, l'aventure, le plaisir de l'histoire et du dessin. On sent toute la jubilation que l'auteur, aguerri de longue date à la construction d'univers fantastiques, a éprouvée à élaborer ce petit monde macabre. Introduisant de la cohérence dans la fantaisie, il invente des règles, fait expliquer par Monsieur Chouette les us et coutumes de l'endroit et de ses habitants, les occupations absurdes de ces derniers - les soldats morts à la guerre la rejouent sans cesse, les victimes d'accident de voiture le revivent inlassablement... Jamais à court d'idées fantasques, David B. imagine que les maisons détruites dans le monde des vivants arrivent dans celui des morts et s'y entassent pour reconstituer une ville totalement anarchique qui change ainsi continuellement d'aspect. Débarquent aussi chaque jour les objets cassés, comme cette « cigarette consumée » et cette « fenêtre condamnée », ainsi que les animaux trépassés, comme ce « porc devenu saucisse ». Tous se bousculent, cherchent une place dans ce monde déjà surpeuplé et grouillant. Cela donne lieu à des pages splendides, fourmillant de détails, magistralement dessinées à l'encre de Chine. Son graphisme grandiose, inimitable et inimité, rappelle parfois M.C. Escher et Edward Gorey, autre grand maître de l'absurde et du funèbre.
Au fil des pérégrinations de Marie pour rencontrer la Mort, l'action s'accélère, va crescendo. Le récit, au départ initiatique, se transforme en une course effrénée, une sarabande insensée, une danse macabre à la Holbein de laquelle Marie va devoir s'extirper. Comme elle, le lecteur se laisse emporter par la virtuosité de David B.
Monsieur Chouette
L'Association
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 35 € ; 256 p.
ISBN: 9782844148162