Q uand il ne provoque pas de polémique, le réalisateur S afy Nebbou est, plus discrètement, sujet à procès. Son Autre Dumas vient de sortir sur les écrans, suscitant plus de débats sur le fait qu’un Caucasien comme Depardieu joue le rôle du quarteron Dumas, que de files d’attente devant les salles. Or, il y a peu, son précédent opus , intitulé L’Empreinte de l’ange , a été, plus discrètement, fustigé en justice…. pour contrefaçon de titre.   Les lecteurs – et les professionnels du livre – connaissent l’autre Empreinte de l’ange , le roman de Nancy Huston, paru chez Actes Sud en 1996. Hormis le prénom de l’héroïne, Saffie, rien de bien commun avec le film de Safy Nebbou, sorti en 2008. Chez la romancière, la jeune Saffie, d’origine allemande, arrive à paris en 1957, etc. Tandis que dans le film du même nom, tiré d’un scénario coécrit par le réalisateur, une femme accompagnant son fils à un anniversaire est convaincue de retrouver sa fille, décédée dans l’incendie de la maternité. Auteur et éditeur ont cependant assigné, et ont d’abord perdu devant le tribunal de grande instance de Paris, début 2009, au motif que le titre commun appartenait au domaine public et que les deux œuvres relevaient de genres différents. Le Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que « le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même ». Pour apprécier l'originalité d'un titre, le juge devra se placer à la date de création : il est impératif de se situer dans le contexte de création du titre, et de se demander si à cette date il était original. Cependant, l'appréciation de l'originalité d'un titre demeure une entreprise fort incertaine. L’examen de la jurisprudence laisse perplexes tous les spécialistes du droit d’auteur. Celle-ci a jugé originaux des titres d’apparence très banale, tels que Le Chardon . En revanche, l’originalité – et donc la protection par la propriété littéraire et artistique - a été déniée par le même Tribunal de grande instance de Paris à Doucement les basses ou encore à Tueurs de flics . Et quand bien même un titre ne serait pas protégé par le droit d’auteur – que cette protection lui soit déniée pour manque d’originalité ou qu’il soit tombé dans le domaine public –, il ne reste pas sans défense. Il peut bénéficier des règles de la concurrence déloyale. Le code lui accorde expressément cette protection : « Nul ne peut, même si l'œuvre n'est plus protégée (…) utiliser ce titre pour individualiser une œuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion ». Il s’agit là d’éviter les utilisations trompeuses de titres non protégés par le droit d’auteur. Afin que soit retenu le risque de confusion, la loi semble avoir formulé l'exigence que les deux œuvres appartiennent au même genre. Mais le terme « genre » est à entendre dans une acception large, puisqu'un film et un livre peuvent appartenir au même genre au regard de la jurisprudence. Bref, s’agissant de L’Empreinte de l’ange , quelques mois plus tard, la Cour d’appel de Paris a infirmé la décision des premiers juges. Les magistrats d’appel ont estimé que le titre de Nancy Huston pouvait renvoyer, de façon indirecte et par métaphore, à une légende de tradition juive sans pour autant perdre de son originalité ; conformément à la règle de droit considérant que l’appréciation de l’originalité du titre et de l’œuvre elle-même sont autonomes. Ce qui donne au titre un caractère « ramassé », le rendant en l’occurrence original et donc protégé par le droit d’auteur. Safy, pour votre prochain film, il faut faire comme Dumas : prendre un nègre pour éviter polémique inutile et procès sans gloire.
15.10 2013

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