8 juin > Roman Autriche > Arno Geiger

L’Autrichien Arno Geiger n’en est pas à son coup d’essai. En 2008, il fut publié pour la première fois en France et en français avec Tout va bien (Gallimard) qui aurait dû révéler aux lecteurs de l’Hexagone qu’un romancier germanophone était né. Il n’en fut rien. La publication postérieure du Vieux roi en son exil, puis celle de Tout sur Sally (Gallimard, 2012 et 2015), si elles achevèrent de l’imposer en son pays et en Allemagne, ne permirent pas non plus d’en faire de même en France. Il est donc possible que ce mélancolique Autoportrait à l’hippopotame soit le roman qui aide enfin Arno Geiger à se faire chez nous la place qu’il mérite.

De quoi s’agit-il ? D’un jeune homme, Julian, 22 ans, qui devient fou tandis que le monde s’apprête à faire de même. En cet été 2004, où Athènes accueille les jeux Olympiques, et où dans une école de Beslan plus d’un millier d’hommes, de femmes et surtout d’enfants sont retenus en otages par des séparatistes tché-tchènes, Judith quitte Julian, étudiant en médecine vétérinaire. Le jeune homme est suffisamment peu assuré de sa présence au monde, de ses désirs et ambitions, pour supporter une telle rupture quand bien même celle-ci ne marquerait pas la fin d’une vraie histoire d’amour. Poursuivi par le père de son ex qui lui réclame le remboursement de sa part de loyer, réduit à vivre dans un appartement sans grâce avec une colocataire encore plus paumée que lui, s’acoquinant avec le beaucoup plus assuré, insolent et charmeur, Tibor, Julian va devoir trouver quoi faire de sa vie, comment cesser sa dérive dans un monde qui lui est devenu flou, mouvant. Cela passera peut-être par le "travail" que lui propose Tibor : le remplacer auprès du professeur Beham, ancien recteur de la faculté, pour s’occuper dans sa propriété aux confins de Vienne, d’un hippopotame nain, placide herbivore que ces désordres ne semblent guère troubler. Avec l’animal, Julian fera la connaissance d’Aiko, la fille plutôt perturbée du professeur, avec laquelle il entamera bientôt une étrange liaison.

Cet Autoportrait à l’hippopotame est une tragédie, celle de l’infinie mélancolie de la jeunesse. Il n’y a pas de cause ni d’horizon pour Julian qui justifient qu’il lui faille, avec quelque impatience que ce soit, attendre le lendemain. Geiger nous peint les égarements de son héros d’une plume ferme. La justesse du trait, sa capacité d’incarnation, qui ne doit pourtant rien au naturalisme, n’ont sans doute d’égales dans le roman contemporain que celles du Danois Jens Christian Grøndahl. Son tableau d’époque est celui d’une génération entière en quête de pères ou de repères, et qui pressent qu’elle ne sera jamais et nulle part tranquille. Les circonstances décideront pour elle, le temps qui passe. Et qui s’enfuit, déjà. Tandis que dans un jardin viennois un hippopotame nain indique la voie de la sagesse. Olivier Mony

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