Dans une profession dont l'élite occupe le statut de « conservateur », les mutations sont-elles chimériques ? S'il existe bien des bibliothécaires qui entendent maintenir une définition du métier centrée sur la « qualité » des documents, on identifie dans la période récente des évolutions et des glissements dans la profession.   Les gardiens du temple n'ont plus le monopole des discours sur le métier et la définition du bibliothécaire. Les journées d'étude, les formations, les débats, la biblioblogosphère forment autant d'occasions de repérer des fissures voire des brèches dans le discours dominant de la politique d'offre. Cela se traduit par des doutes et une remise en cause d'un ensemble de croyances ancrées dans le marbre des institutions du monde des bibliothèques. Le succès du dictionnaire du diable des bibliothèques mis en ligne depuis peu ( voir site du Dictionnaire du diable des bibliothèques ) atteste de cette évolution. On y observe un mélange d'auto-dérision, de désarroi, de méfiance, de critiques. Transpire dans cet ensemble de définitions le sentiment d'un univers professionnel qui, fort de ses codes, en finit par fonctionner à vide. Si le doute sur ce que doit être le métier de bibliothécaire aujourd'hui se repère par un silence ou par un repli sur la technique, il s'exprime aussi par ces prises de parole qui remettent en cause un discours passé et tout ce qui le soutenait et continue de le soutenir.   Pourtant, s'arrêter à ce visage de la profession serait ne pas rendre compte de façon complète de la manière dont les bibliothécaires abordent la question. Des prises de parole se multiplient (notamment quand on s'éloigne des cadres les plus institués) pour revendiquer une nouvelle approche de la bibliothèque. Sans complexes, avec lucidité, nombreux sont les bibliothécaires qui affirment leur souhait de rendre service à la population qu'ils desservent et qui cherchent des moyens de la satisfaire. Qu'ils s'interrogent à propos des animations culturelles, de la place de la « qualité » dans les critères d'acquisition, de l'accueil ou de l'espace dédié aux collections,   ils ouvrent les champs du possible et créent les conditions d'une transformation des bibliothèques et du métier. Le souci des usagers et de l'attractivité de l'institution l'emporte sur la défense d'une vision préconçue et figée de la culture. A quoi bon se référer à des valeurs si elles reposent sur un monde passé, en décalage avec la vitalité et l'hétérogénéité des situations concrètes ?   Cette disponibilité croissante des bibliothécaires se heurte aux tenants d'une certaine « orthodoxie » toujours prête à s'exprimer surtout quand elle rassemble des voix nombreuses ou dominantes (y compris syndicales) au sein d'une équipe. Mais de façon plus insensible, elle doit surmonter la force des habitudes, toutes ses pratiques professionnelles qui ne sont plus interrogées tant elles relèvent de l'évidence partagée entre pairs. Il peut s'agir de catalogage, d'animation culturelle, d'accueil de classes, d'acquisitions de « petits éditeurs » ou du maintien de l'ordre du silence. Dans nombre de routines inconscientes se loge une « théorie professionnelle » qui s'impose ainsi insidieusement. C'est progressivement que de nouvelles routines se mettront en place qui reposeront sur une nouvelle vision du métier. On   le voit, par exemple, à travers la remise en cause effective des pratiques de catalogage. C'est cette inertie à l'état pratique qui freine la mutation pourtant irréversible de la profession.
15.10 2013

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