D'où viennent tous ces classiques gratuits ?

D'où viennent tous ces classiques gratuits ?

Jusqu'à maintenant, les passionnés de littérature se sont montrés plus dynamiques que les institutions dans la constitution d'un fonds de classiques numériques facilement accessibles.

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Par Hervé Hugueny,
avec Créé le 15.04.2015 à 20h04 ,
Mis à jour le 08.05.2015 à 15h07

Paradoxe : les lecteurs du XXIe siècle apprennent à maîtriser leurs liseuses, smartphones, tablettes et autres machines à lire avec de la littérature des XVIIIe ou XIXe siècles... parce qu'elle est gratuite ou très bon marché. "C'est un moyen de tester ce matériel", explique Hadrien Gardeur, cofondateur de la librairie numérique Feedbooks qui propose plusieurs milliers de classiques en français, anglais, allemand, espagnol, italien. Les téléchargements mensuels se comptent par centaines de milliers. Toutes les librairies numériques proposent un rayon plus ou moins fourni d'ebooks au format ePub, devenus un produit d'appel : "Téléchargez chaque semaine des livres gratuits par centaines !" proclame ainsi le bandeau publicitaire que Virginmega.fr diffuse sur Internet. Sur Feedbooks, Les fleurs du mal arrive en tête, suivi du Kamasutra et d'Alice au pays des merveilles. Sur Amazon, c'est Sherlock Holmes, de même que sur Fnac.com, et chez Decitre.com, qui ne donne pas de classement pour éviter un effet d'entraînement autoalimenté, le mieux noté est Deux ans de vacances de Jules Verne.

RABELAIS RECOPIÉ À LA MAIN

On retrouve partout plus ou moins les mêmes titres, correspondant au patrimoine littéraire transmis par l'institution scolaire : Dumas, Maupassant, Molière, Musset, Proust, Stendhal, Verne, Voltaire, Zola... pour les auteurs français. La plupart de ces sites s'alimentent auprès des mêmes producteurs de contenus, passionnés mais peu nombreux. François Bon, écrivain et fondateur de Publie.net, est l'un d'entre eux. Sa maison d'édition numérique en compte "200 ou 250", de 0,99 euro à 2,99 euros, dont Rabelais, "recopié à la main sur mon Atari 1040 d'après les fac-similés des éditions originales de la BNF", explique François Bon, un des pionniers de la numérisation des classiques. "Il y avait deux réseaux contributifs bénévoles à l'époque, Athena et Abu, pas de site BNF ni de Wikisource ; j'ai recopié ainsi plusieurs textes à la main, les Poèmes en prose de Baudelaire, puis Une saison en enfer et Les illuminations ».

Depuis les Etats-Unis, Michael Hart avait auparavant lancé son projet Gutenberg, qui ne proposait alors que des classiques en anglais, depuis complétés par des contributions du monde entier, et notamment en français. L'esthétique du site est austère : Gutenberg.org se concentre sur l'accessibilité des fichiers, proposés dans près d'une dizaine de formats.

En français, la bibliothèque de référence est devenue Ebooks libres et gratuits (ELB), qui tient par la passion de son fondateur, Coolmicro selon son pseudonyme sur la Toile, Michel dans la vraie vie, fonctionnaire de son état, "mais qui travaille 40 à 45 heures", précise-t-il d'emblée au téléphone pour lever les soupçons de dilettantisme auxquels il est habitué. "J'ai commencé en 2003, avec mon premier smartphone, et le groupe s'est progressivement structuré autour d'un noyau de 3 à 4 contributeurs très impliqués et un nombre variable de correcteurs et relecteurs, de 30 à 100 personnes, dont beaucoup sont au Canada", explique le fondateur d'Ebooks gratuits.com. Passionné de littérature populaire et grand amateur de romans russes, ses goûts se lisent parmi les quelque 1 700 ePub du site.

ELB est devenu un point de regroupement pour d'autres contributeurs, dont Efélé, qui propose des réimpressions sur son propre site, ou encore la Bibliothèque électronique du Québec, où la propriété littéraire est de cinquante ans, ce qui pose parfois des problèmes avec les soixante-dix ans de la loi française. "Nous sommes un des rares sites gratuits à avoir mis un filtre géographique", indique Michel, qui ne cache pas son incompréhension devant l'agressivité de certains éditeurs. "Nous sommes vigilants, mais il peut nous arriver de faire des erreurs. Nous ne prenons pas de publicité, j'y suis totalement opposé, et tous nos fichiers sont repris gratuitement sur Amazon, Decitre, la Fnac, Feedbooks, etc.", ajoute-t-il.

BIENTÔT 14000 EBOOKS À LA BNF

A côté de ces initiatives spontanées, le premier des projets publics est porté par la BNF, plus lente à réagir, mais plus puissante dans la durée. Dans Gallica, les quelque 160 ebooks au format ePub seront progressivement complétés par 14 000 titres à partir de l'an prochain, provenant du troisième programme de numérisation de 70 000 ouvrages étalé sur trois ans. Un autre projet est en cours de finalisation, dans le cadre de l'appel à partenariat lancé en juillet 2011. Cofinancé par des prêts Investissements d'avenir avancés par la Caisse des dépôts et du sponsoring privé, il prévoit la numérisation, puis la diffusion gratuite, de 40 000 oeuvres du domaine public, du XVIIe siècle à 1940, selon ses deux concepteurs, Xavier Maurin et Bernard Prost. Une première maquette d'une vingtaine d'ePub est consultable sur Ilivri.com. C'est plus propre, mais aussi plus limité que le grand déballage de Google ebooks, où commence à se trouver une offre abondante d'ePub et non plus de fac-similés peu exploitables. Et le moteur de recherche est également derrière Numelyo, la bibliothèque numérique de Lyon tout juste ouverte (voir p. 58).

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