C'est entendu, il n'y a pas d'amour, que des preuves d'amour. Et celles que donne la langue française aux femmes qui, à travers les siècles, ont entrepris d'écrire sont plutôt minces ; voire absentes. Comme le rappelle Eric Dussert dans le préambule de Cachées par la forêt, quel est le féminin des mots auteur, compositeur, sculpteur, peintre, écrivain ? Poser la question, c'est hélas déjà y répondre.

Il apporta le même type de réponse, aussi imparfaite qu'involontaire, lors de la parution de son extravagante somme, Une forêt cachée (La Table ronde, 2013). Il y brossait le portrait à travers les âges de 156 écrivains oubliés, parmi lesquels il ne fallait compter (« faute
de renseignements »
, assure-t-il) que
17 femmes. Aujourd'hui, Cachées par la forêt se présente comme son pendant, une tentative pleine de panache, de réparation et de réhabilitation. 138 femmes, classées par ordre chronologique d'apparition (et donc, de disparition) s'y présentent telles que l'oubli des lecteurs les a laissées. Tout commence avec Ono no Komachi (825-900) et s'achève avec Emma Dante (1967-...). Entre les deux, le XXe siècle tient tout de même le haut du panier. 

« Chasse au trésor »

Chercher la femme, c'est d'abord trouver l'homme qui les traque et les aime. Eric Dussert, la petite cinquantaine volontiers rieuse, est responsable à la BNF de la « numérisation des livres imprimés ». Il a trop l'usage des écrivains et le sens des convenances pour oser réclamer en être un, préférant répondre pour l'état civil du statut d'archéologue ou de bibliothécaire. Ce natif de Vienne près de Lyon, né d'un père assureur, arrive à la BNF en 1992, dans la foulée de Jean Gattégno, après des études à Sciences po Lyon et un DESS d'édition à Villetaneuse. Il ne la quittera plus, hormis une parenthèse éditoriale de quelques mois chez Phébus. Depuis son premier grand souvenir de lecture, Typhon de Conrad, les livres de la collection « Tout l'univers » et, adolescent, Fante et Artaud, la lecture, dit-il, lui a « toujours été une bulle ». C'est là aussi qu'il a contracté à vie ce qu'il appelle « le goût de la chasse au trésor ». « Finalement, j'ai cherché des écrivains oubliés parce que ce qui m'intéresse, c'est ce qu'on ne sait pas », raconte-t-il. Si l'usage social lui avait offert dans sa jeunesse le rock, qu'il n'a là aussi jamais abandonné, les livres comblaient celui de la solitude. « Quand je vois un livre, faut que je l'ouvre ! » Ce sera le sort de ceux de Beckett, de Genet, de Maurice Roche, pour un rien parfois, toute une œuvre ou juste une phrase, comme celle tant aimée d'André de Richard : « je ne suis pas mort, c'est bien plus pire ». Des livres lus à ceux que l'on édite et ceux que l'on chronique il n'y aura qu'un pas. Lecteur qui écrit, Eric Dussert interviendra dans les pages du défunt Lyon Libération, plus récemment au Matricule des anges, à la Quinzaine littéraire ou au Monde diplomatique. Il a fondé, d'abord à L'Esprit des péninsules puis aujourd'hui à L'Arbre vengeur de ses amis David Vincent et Nicolas Etienne, une collection, « L'alambic », cabinet fastueux de curiosités littéraires. On y retrouve, par exemple, le cinglant autant que nécessaire Monsieur Tristecon, chef d'entreprise, du trop oublié François Caradec. On le sait exercer aussi ses talents d'exhumation chez les uns et les autres, à La Table ronde, bien sûr, ou chez Buchet-Chastel. « Ce que j'aime, c'est trouver des textes ; ce que je souhaite, c'est leur trouver ensuite un éditeur. » Il vient de trouver 138 femmes qui n'attendaient que lui.

éric Dussert
Cachées par la forêt : 138 femmes de lettres oubliées
La Table ronde
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 22 euros
ISBN: 9782710377146

En dates

1967

Naissance
à Grenoble

1986

Pigiste culture
à « Lyon Libération »

1993

Création
au « Matricule des anges » de la rubrique « Les égarés, les oubliés »

2002

Publie dans
sa collection
« L'alambic » 
« La littérature sans estomac » 
de Pierre Jourde

2006

Publie chez Anabet le pamphlet
« Comme des enfants : l'âge pédophile du capitalisme »

Les dernières
actualités