Eve Babitz, «Eve à Hollywood» (Seuil) : Une fille à la cool

Eve Babitz - Photo © Mirandi Babitz

Eve Babitz, «Eve à Hollywood» (Seuil) : Une fille à la cool

Troisième livre traduit en français d'Eve Babitz, it girl californienne des années 1970 et merveilleuse écrivaine sans avoir vraiment cherché à l'être.

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Par Olivier Mony
Créé le 01.02.2021 à 10h08

C'est toute nue, photographiée par Julian Wasser en train de disputer une partie d'échecs dans une galerie d'art avec Marcel Duchamp, lui impeccablement vêtu, qu'Eve Babitz a obtenu ses galons de muse de la scène artistique des années 1960-1970 à Los Angeles (expérience dont elle rend d'ailleurs compte dans un court et passionnant texte, En tenue d'Eve, que viennent de publier les éditions Points).

Cette enfant de la balle n'avait pourtant rien demandé. Née en 1943 d'un père musicien, élevée à Hollywood, et filleule d'Igor Stravinsky, elle voulait juste de profiter au mieux et le plus longtemps possible de « this side of paradise », pour paraphraser Fitzgerald auquel son écriture diaprée de lumières et d'ombres consciencieusement tues peut faire penser. Car voilà l'histoire : elle ne s'est pas contentée de ce statut d'enfant prodigue de la Cité des anges, réalisant de-ci de-là des couvertures d'albums pour Buffalo Springfield ou les Byrds et collectionnant les amants, dont certains comme Harrison Ford deviendront célèbres. L'écriture lui est un jour venue sans qu'on ait l'impression qu'elle l'ait vraiment cherchée ; une écriture absolument sublime de grâce, d'élégance et d'ironie mêlées. Pas une écriture romanesque puisque, après tout, sa vie et les chroniques qu'elle en a tirées sont déjà en soi de merveilleux moments de fiction.

Il a fallu en France attendre 2015 et la publication grâce à Philippe Beyvin de Jours tranquilles, brèves rencontres (Gallmeister), bientôt suivie de celle de Sex & rage (Seuil, 2018), pour que les lecteurs français découvrent cette œuvre tout entière dédiée à un hédonisme parfait. Eve à Hollywood, son premier livre publié en 1972 aux États-Unis, confirme son éblouissant talent. Il faut en premier lieu saluer la traduction de la romancière Jakuta Alikavazovic, qui a su rendre compte de la subtilité presque climatique de l'écriture de Babitz. De quoi est-il question en ces pages ? De tout et de rien, de Los Angeles au temps du Flower Power, d'une fille à la cool qui s'y épanouit comme une fleur au printemps. De rencontres, du goût des tacos vendus deux sous dans les rues, de surfeurs qui se voudraient plasticiens ou musiciens, à moins que ce ne soit l'inverse, de fêtes, de tremblements de terre et parfois du cœur, de sexe, de drogues aussi pour faire bonne mesure, des nuages au-dessus de l'océan, de tout ce qui fait et aurait toujours dû faire le quotidien enchanté d'une fille protégée par ses dieux. « La mort, c'est les autres qui s'amusent sans vous », écrit Babitz. C'est là toute sa philosophie et il est permis de penser qu'il y en a de plus superficielles. L'auteure montre ce que devrait toujours être la jeunesse, incarnée dans une femme, une époque, une ville. En ces temps qui semblent en avoir oublié jusqu'au goût, cette formidable leçon de liberté apparaît plus nécessaire que jamais.

Eve Babitz
Eve à Hollywood Traduit de l'anglais (États-Unis) par Jakuta Alikavazovic
Seuil
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 22,5 € ; 336 p.
ISBN: 9782021393842

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