8 février > Philosophie Allemagne > Markus Gabriel

Extension du domaine de l’esprit

Markus Gabriel - Photo DR/JC Lattès

Extension du domaine de l’esprit

Contre le neurocentrisme qui réduit le moi à notre cerveau, le champion du nouveau réalisme Markus Gabriel propose "une nouvelle philosophie de l’esprit pour le XXIe siècle".

J’achète l’article 1.5 €

Par Sean James Rose
Créé le 27.01.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 27.01.2017 à 09h48

Depuis le matin de sa naissance, la philosophie s’est évertuée à donner un sens au monde. Le "Monde", le vrai, celui qui engloberait la totalité des choses, est ailleurs : c’est le monde des Idées selon Platon. Ou alors il est inconnaissable : Kant relativise les puissances ratiocinantes de l’intellect et affirme que la "chose en soi", la vérité du monde, ne saurait être appréhendée par la pure raison.

Markus Gabriel, le prodige de la philosophie allemande né en 1980 et titulaire de la chaire de philosophie de l’université de Bonn, exposait dans son précédent livre "pourquoi le monde n’existe pas" (JC Lattès, 2014, repris au Livre de poche). Ce champion d’un courant appelé "nouveau réalisme" croit tout à fait à la réalité des choses et même des choses imaginées telles que les productions de l’art, les romans ou les rêves, mais pas dans un monde qui les subsumerait toutes. Pas de monde "objectif", sans sujet (quel intérêt d’avoir un spectacle sans spectateur !), pas un unique champ de sens qui envelopperait le tout et l’expliquerait. Pas une seule clé capable de résoudre le mystère de ce que nous sommes.

Dans son nouvel ouvrage Pourquoi je ne suis pas mon cerveau, Markus Gabriel s’en prend aux neurosciences et à la "neurophilosophie" qui réduisent le moi à l’organe principal de notre système nerveux, niant toute liberté à l’esprit humain. La conscience (de soi et d’autrui) ne serait-elle qu’une illusion ? Une IRM ne décrit pas nos mouvements de pensée, pas plus qu’elle ne révèle les raisons pour lesquelles l’on pense plutôt de telle manière que de telle autre. Contre ce réductionnisme naïf qui se drape de théories scientifiquement prouvées, le philosophe réaffirme le principe de réalité du réel qui nous entoure et pointe l’aporie du neurocentrisme : "Si la conscience est, littéralement, un processus neurochimique, sous notre voûte crânienne, dans laquelle se déroule un cinéma céphalique qui prétend reproduire le monde extérieur, comment savons-nous qu’il existe réellement quelque chose "là dehors", quelque chose avec quoi nos images mentales sont en relation, de quel que façon que ce soit ?"

Antipostmoderne, anticonstructiviste (contre les idéologies réduisant l’homme aux seuls facteurs sociologiques ou culturels), Markus Gabriel est, quoi qu’il en soit, de plain-pied avec l’époque. Et l’on goûte son style pop qui mêle philosophie du savoir, philosophie analytique, références aux séries TV, à la SF, et fait dialoguer Doctor Who avec Schopenhauer, Sartre, Thomas Nagel ou Maître Eckhart.

A travers cet essai, véritable "page-turner" philosophique, Markus Gabriel entend ouvrir des perspectives pour "une nouvelle philosophie de l’esprit pour le XXIe siècle" et réaffirme haut et fort que "nous sommes libres et que cela est dû principalement au fait que nous sommes des êtres vivants doués d’esprit".
S. J. R.

Les dernières
actualités