5 septembre > Récit France

En 2003, Pierre Jourde publiait chez un éditeur confidentiel, L’Esprit des péninsules (que dirigeait alors son compère Eric Naulleau), un récit non moins confidentiel, Pays perdu, qui connut un destin littéraire plutôt inattendu. Selon Jourde, il s’agissait d’un livre d’amour, d’un hommage sensuel et cru à la vie rude dans le hameau de Lussaud, perché quelque part au bout du monde, aux confins du Cantal et du Puy-de-Dôme, d’où sa famille est originaire et où lui-même, important propriétaire de maisons et de terres, avait l’habitude de séjourner avec femme et enfants. Au passage, il en dépeignait les autochtones, sans fard, avec leurs manies plus ou moins recommandables (les ragots, l’alcoolisme), leur « misérable petit tas de secrets », comme disait Malraux, qu’ils ne tenaient pas à voir divulguer. Pour l’écrivain parisien, il s’agissait d’une célébration. Pour ses voisins de toujours, avec qui des liens forts d’amitié s’étaient tissés, croyait-il, d’une trahison. Même s’ils n’ont pas, pour la plupart, lu le livre, qui a mis un an à leur parvenir, ils en ont été choqués, blessés.

Aussi, à l’été 2005, lorsque Jourde est revenu à Lussaud pour les vacances, avec son épouse et leurs trois enfants, il ne pouvait pas imaginer la réception qui lui était réservée : panneau malveillant à l’entrée du hameau, tentative de lynchage collectif et de lapidation par deux femmes hystériques, un vieillard venimeux et son petit-fils débile. Le tout agrémenté de propos haineux et xénophobes. L’écrivain dut faire le coup de poing pour éviter aux siens d’être blessés, puis s’enfuir et porter plainte à la gendarmerie. Tout comme ses adversaires, pour coups et blessures ! Un procès s’ensuivit, au tribunal d’Aurillac, en 2007, que Jourde a gagné, et qui fit l’objet, à l’époque, d’une couverture médiatique régionale, nationale, voire internationale, pas toujours bienveillante. Notre homme, qui peut avoir la dent dure, n’a pas que des amis.

L’histoire aurait pu en rester là. Mais, malgré le temps, le traumatisme est encore suffisamment profond pour qu’il lui consacre un autre livre, au titre ironique, La première pierre. Toutes proportions gardées, on pense aux Versets sataniques de Salman Rushdie, un écrivain condamné à mort par des gens qui ne l’ont même pas lu. Le Cantal n’est pas l’Iran, et Jourde a sans doute péché par légèreté, mais rien ne justifie un tel déferlement de violence, qu’on censure un livre ni qu’on s’en prenne à des enfants. L’affaire est close aujourd’hui, et certains protagonistes morts. Reste ce second ouvrage inclassable et composite, plaidoyer pro domo et prolibro, avec de très belles pages poétiques où Jourde, ce supposé Parisien intello, prouve son amour et sa profonde connaissance de la campagne, de ce coin de France qui, n’en déplaise à certains, est sien.

Jean-Claude Perrier

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