Alma et sa fille Billie vivent depuis toujours comme « les deux moitiés d'un même fruit », intimement connectées dans une « relation siamoise ». A 14 ans, l'adolescente tombe malade et dépérit lentement, atteinte d'un mal impossible à diagnostiquer et ses parents se désespèrent, impuissants. « Elle tousse, maigrit à vue à d'œil et se plaint de douleurs au thorax, comme si une plante vénéneuse poussait dans sa poitrine. » Pour sa mère, qui n'ose pas tout de suite l'avouer à son compagnon de plus de vingt ans, ce n'est pas un nénuphar, comme dans L'écume des jours, qui pousse dans les poumons de Billie, mais « le chardon », une plante sauvage à piquants qui l'envahit, la dévore de l'intérieur et menace sa vie. « Confusément », cette mère a l'intuition de sa responsabilité, persuadée qu'elle a transmis sa propre angoisse existentielle à son « enfant anormalement sensible et intuitive ». Et cette femme quadragénaire, bouquiniste sur les quais de Seine à Paris, vit oppressée, sujette à des attaques de panique la nuit, envahie de phobies. « Elle voudrait frotter sa peau jusqu'à décaper la vieille corne de mélancolie qui la recouvre. Retrouver la poussière d'étoiles dont elle est constituée. » La guerre est déclarée, mais c'est une guerre de position sans ennemi identifié, un épuisant délitement. La jeune fille est hospitalisée des mois durant, ressort entre deux crises, rechute, jusqu'à ce que les médecins identifient une tumeur « de la taille d'une poire » et qu'ils décident une opération risquée. Les quatre jours précédant l'intervention, alors que l'adolescente a été placée en chambre stérile, Alma s'échappe en Bretagne chez un vieil homme qui veut lui faire expertiser sa bibliothèque de livres anciens.

Premier roman de Constance Joly, Le matin est un tigre est un livre d'images peuplé de chats roux et de tigres, de poissons et de fleurs, de cauchemars et de rêves hantés par le fantôme de la rebelle criminelle irlandaise Chicago May... C'est un roman de combat où l'on porte des valises fardeaux de différents formats, diversement encombrantes, où poésie et botanique s'allient pour lutter contre la transmission de l'angoisse. Quand une trop grande fusion entre une mère et sa fille devient dangereuse et qu'il s'agit de recouvrer sa liberté d'être pour rendre l'autre libre, de prendre sa place pour faire de la place.