4 septembre > Roman France

Guillermo est du genre à descendre acheter des cigarettes et disparaître pendant trois semaines, sans prévenir. Là, c’est au Japon qu’il s’est barré. A Tokyo, il cherche sur Internet une fille partante pour du sexe et de la défonce. Hôtesse en petite culotte dans un lingerie pub, Yûko est assez dingue pour accepter. Après une embrouille avec des voyous, ils prennent la fuite vers la côte. Dans une petite maison en bord de mer, Guillermo et son fantasme vivant de poupée nippone s’enivrent de mezcal avant l’amour… Quand "quelque chose dans la nuit marine, quelque chose, là-bas, dans les profondeurs, a commencé d’arriver". Un tsunami déferle sur Fukushima, Yûko sera rescapée, Guillermo pas. Laurent Mauvignier fait démarrer son nouveau roman Autour du monde avec le pire séisme qu’ait connu le Japon. A rebours d’un film-catastrophe où tout culmine avec l’acmé du désastre, son livre composé d’histoires qui se déroulent en différents endroits du globe use de ce funeste 11 mars 2011 comme d’un simple fil rouge. Père et fille, résidents suisses, sur une croisière en mer du Nord ; bande de jeunes Stambouliotes en vacances aux Bahamas ; ingénieur de Kuala Lumpur retrouvant son amant russe à Moscou ; propalestinienne en mission humanitaire dans les Territoires occupés… Les images de la tragédie japonaise passent sur toutes les chaînes de la planète, traversent autant d’existences disparates. Certains n’en ont rien su au moment du drame, comme ces amateurs de safari dans leur lodge non équipé de téléviseur, mais qu’importe ! L’idée, c’est que, aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, nous sommes tous reliés. John Donne, le poète anglais du XVIIe siècle, le disait déjà : "Nul homme n’est une île, un tout en soi […]. La mort de tout homme m’amoindrit […]."

Le tour de force de Mauvignier tient à cette façon de changer de focale narrative comme si de rien n’était, et de glisser d’une tranche de vie à une autre grâce à une conjonction, un mot discret. Monsieur Arroyo, employé d’une piscine à Dubai, rêve comme ces milliers de travailleurs philippins des pays du Golfe de retourner dans son archipel natal - ce serait comme un voyage de noces, comme celui que vont connaître Denis et Dorothée. Et voilà le lecteur embarqué dans l’avion avec les jeunes mariés, destination l’Afrique…

L’auteur de Dans la foule (Minuit, 2006), sur le drame du stade du Heysel, sait jouer de ce vertige qu’implique la prise de conscience collective. Dans Autour du monde, la juxtaposition de petits destins aussi précieux pour leurs protagonistes que vains au regard de l’infini nous donne un tournis métaphysique. Fukushima est le rappel de notre universelle mortalité. Distances abolies par la Toile, le tourisme de masse ou encore le consumérisme globalisé, si l’humanité est condamnée à la solidarité, elle n’en est pas moins exempte d’un irrémissible sentiment d’atomisation. Sublime tableau de solitude, sorte d’Edward Hopper ultra-contemporain, que la vision de ce Malaisien triste dînant dans un McDonald’s moscovite. Là est le paradoxe de notre condition : un "monde inconciliable et à jamais inséparable".

Sean J. Rose

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