Par le « grand emprunt », l'Etat va consacrer 750 millions d'euros supplémentaires à la numérisation du patrimoine des musées, des bibliothèques et du cinéma. Un signal est envoyé pour affirmer de façon solennelle l'attachement de la France à son patrimoine national. Notre Président affirme : «  Nous allons monter un grand partenariat public-privé, tout en gardant la maîtrise de notre patrimoine  », et d'ajouter «  il n'est pas question de laisser ce patrimoine partir  ». Nous allons pouvoir sauver les sédiments de notre identité nationale déposés dans les magasins des fonds patrimoniaux...   On peut bien sûr se réjouir de l'effort public dont vont bénéficier ces bibliothèques. Mais on voit encore réaffirmé le lien entre bibliothèque et patrimoine. Le passé serait-il l'avenir des bibliothèques ? Mitterrand avait bâti un temple au patrimoine par la BNF, son successeur le sanctuarise en œuvrant à sa numérisation. Mais où sont nos contemporains, ceux qui vivent aujourd'hui, qui errent dans le RER, marchent dans les rues, roulent dans nos campagnes, etc. ? Est-ce que cette entreprise les concernera ? La numérisation créera-t-elle un appétit pour le passé (qui n'est d'ailleurs pas seulement celui de la nation) ? En quoi cela constitue-t-il un « i nvestissement d'avenir  », un «  moteur de la croissanc e » ?   Tout cet argent n'aurait-il pas été plus utile pour aider les bibliothèques publiques à opérer le virage du numérique ? Combien de bibliothèques auraient-elles pu proposer à leurs usagers d'aujourd'hui (et de demain) un accès à des ressources électroniques à même de favoriser leur information et donc leur niveau de formation ? Ils auront accès à des œuvres oubliés (peut-être injustement mais quelle autonomie accorde-t-on à nos contemporains dans leur construction de leur propre monde ?) mais ne pourront accéder à une vaste offre de presse et de documentation en ligne... L'équipement même des bibliothèques en ordinateur aurait aussi pu être amélioré quand la synthèse des données 2007 de la DLL affirme que «  les postes de consultation informatique pour le public sont insuffisants, environ 4,7 pour 10 000 habitants  » (c'est-à-dire un poste pour 2000 habitants !). De même ce budget aurait également pu servir à fournir une offre dématérialisée de musique et de vidéo. Cela aurait été bien utile plutôt que de laisser une myriade de bibliothèques devoir composer isolément avec une évolution qui les concerne toutes et qui ne sera que renforcée par le développement du haut-débit que le « grand emprunt » a présenté comme une priorité...   Bref, ce grand emprunt qui doit projeter la France dans l'avenir a tendance à nous le présenter dans le rétroviseur. C'est une occasion ratée... on peut nourrir le regret de n'avoir pas réussi à imposer une autre association à la bibliothèque que celle de patrimoine. Après tant d'années de lecture publique, la persistance de ce constat désole et ouvre sur de nouvelles questions : Quels discours tenir pour faire exister les bibliothèques vivantes et en phase avec nos contemporains ? Quels relais d'opinions pour les faire exister ? Une profonde réflexion s'impose pour que les bibliothèques voient leur avenir ailleurs que dans le passé !
15.10 2013

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