1er février > Roman France > Jean Teulé

Jean Teulé s’est fait une spécialité d’aller puiser dans l’histoire, relativement proche lorsqu’il s’agit de Rimbaud et de Verlaine, ou plus lointaine comme ici, des sujets "convulsifs", qui lui permettent de donner libre cours à sa curiosité, à sa verve, à son penchant assumé pour les anachronismes (du genre : "Oui, c’est un flashmob", ou "Quelle technoparade !", en plein XVIe siècle), à son (mauvais) goût pour la cruauté, les horreurs, le morbide voire le scatologique. Dans ce registre, Mangez-le si vous voulez (Julliard, 2009) demeure un sommet, avec lequel Entrez dans la danse présente quelques analogies. Sauf que cette fois, ce n’est plus toute une ville contre un seul homme, mais quelques-uns, les riches, les nantis, les pouvoirs, laïque ou religieux, contre une grande partie de la population, 2 000 personnes environ, prises durant près de trois mois d’une transe folle, et finalement éliminées afin que la collectivité retrouve son ordre, son équilibre, même bien précaire : une invasion des Turcs est toujours possible, et la Réforme de Luther commence à saper les fondements de l’autorité de l’Eglise catholique sur ses ouailles.

Nous sommes à Strasbourg, principauté autonome, cogérée par un prince-évêque immonde, avide et brutal, Honstein, et un maire, le gros brasseur Drachenfels, complètement dépassé par sa tâche, en 1518. La population est accablée par la misère, la famine, les épidémies. Certaines mères, comme Enneline Trofféa, l’épouse d’un graveur sur bois, préfèrent jeter à la rivière leurs nouveau-nés, incapables de les nourrir. D’autres, comme Jérôme et Attale, les mangent ! Alors le 12 juillet, en pleine rue, Enneline commence à danser, frénétiquement, sans pouvoir s’arrêter, bientôt rejointe par quelques autres, puis des dizaines, des centaines.

Convoqués par les édiles, les médecins écartent toutes les hypothèses connues : ni haut mal, ni danse de Saint-Guy, ni feu de Saint-Antoine, dû à l’ergot de seigle. Ce serait plutôt une transe collective, en guise d’exutoire à l’extrême misère du peuple. Le maire essaie quelques remèdes, comme parquer les danseurs dans un marché, derrière la cathédrale, jusqu’à épuisement, puis, à l’inverse, interdire toute musique dans la ville, rien n’y fait. Il se résout alors à s’en remettre à l’évêque, lequel organisera une solution radicale, sous couvert de pèlerinage.

Comme à l’accoutumée, c’est enlevé, féroce, cru, impitoyable. Les nombreux fans de Teulé vont adorer. J.-C. P.

12.01 2018

Auteurs cités

Les dernières
actualités