Je n’ai pas grand chose à raconter de ma vie d’écrivain. C’est peut-être pour ça qu’on devient écrivain : pour pouvoir dignement ne rien faire. A tout moment, on peut dire qu’on réfléchit. C’est la vocation idéale pour tous ceux qui cherchent des excuses, la vocation des coupables. Je me sens mou, et je mange essentiellement des soupes. Je n’ai pas trop envie de mâcher. J’achète aussi des steaks hachés. Manger un steak haché, c’est prendre de l’avance. Je me demande ce que fait Martin Page en ce moment (aucune envie de faire un effort dans les transitions, aujourd’hui). Il est entré d’une manière fracassante en littérature avec un livre devenu quasiment un classique : Comment je suis devenu stupide . Météorite de fantaisie et de poésie, ce livre avait réjoui beaucoup de monde. Servi aussi par un très bon titre, et je suis bien placé pour savoir que ça compte (j’ai vendu 20 fois plus du Potentiel érotique de ma femme que de Entre les oreill es, alors que, je peux l’avouer maintenant, c’est le même livre : j’avais juste changé le titre.). Mais Martin Page n’a pas la place qu’il mériterait aujourd’hui. Ces livres récents n’ont pas eu le succès du premier, et c’est parfaitement injuste. D’un point de vue littéraire, je trouve que ses livres sont de plus en plus inventifs, et travaillés. Martin Page est un écrivain en mouvement ; après son premier succès, il aurait pu le décliner. Comment je suis devenu stupide aurait pu devenir son hygiène de l’assassin. Son problème : il aime les fruits murs. Il publie actuellement deux livres. Le premier est De la pluie (chez Ramsay). Au moment où je reçois le livre, il pleut des cordes ( il est très fort ce Martin Page (ou est-ce son éditrice Anna Pavlovitch qui maîtrise sûrement les éléments du ciel )). Je me demande ce qui se serait passé si Martin Page avait écrit un traité sur le suicide. Il aurait pu le faire, c’est un thème qui revient souvent dans ses romans. Il faut absolument relire le début de On s’habitue aux fins du monde pour savoir que faire si on se retrouve sur un pont avec un suicidaire. C’est l’une des plus belles scènes de ses romans. Et donc, dans « de la pluie » (finalement, vous allez voir, je ne suis pas si mauvais en transition), il y a cette phrase : « on dit : la pluie tombe. Et personne ne voit le drame derrière cette banale constatation. Est-ce un accident ou un suicide ? ». Seul Martin Page peut voir un suicide dans ce jet kamikaze en provenance du ciel . Tout le livre fourmille de pensées décalées sur la pluie, et c’est un texte qu’on aurait du sortir pour l’été. C’est le livre de l’été prochain. Un autre petit exemple : « Quand il ne pleut pas, l’amour se fait rare. Personne ne s’y trompe : on va à Ibiza pour coucher, pas pour aimer ». Il publie aussi un roman pour la jeunesse ( Le garçon de toutes les couleurs à L’école des Loisirs), mais c’est comme les dessins animés Pixar : tout le monde peut le lire. C’est vraiment réjouissant. On y retrouve toute sa fantaisie. Les parents de l’héroïne, Clémence, sont cambrioleurs : elle ne les voient jamais. Elle passe son temps avec un fantôme-ambassadeur du Groenland. Ce personnage est un délice : il est le seul fantôme capable d’être hypocondriaque. Tous deux s’inquiètent de la particularité de Simon, un nouveau venu dans l’école : des taches de couleurs apparaissent régulièrement sur lui. Derrière la fantaisie se cache sûrement quelque chose de plus brutal. Et c’est tout Martin Page qu’on retrouve aussi là, dans l’éternel refuge de l’imagination. Encore une phrase que j’adore : « pour se calmer, il changea de cravate ». Voilà… je n’ai pas de chute à cette chronique. Pour en trouver une, il faut lire De la pluie ... * * * Trois vœux de Martin Page : 1/ Supprimer les étages 2, 3, 4 et 5 de mon immeuble. 2/ Qu’un jour par semaine (le mercredi serait parfait), le monde perde ses couleurs pour ressembler à un vieux film en noir et blanc. 3/ Que Marc Vilrouge ne soit pas mort le 16 janvier, que d’autres meurent à sa place (j’ai des idées) ; que l’on se partage sa mort, qu’on la divise pour la diluer jusqu’à ce qu’elle disparaisse
15.10 2013

Les dernières
actualités