Il devient horripilant, François Bégaudeau. Ah, je sais bien, tous les professeurs de français ne finissent pas avec une palme d’or à Cannes ! La plupart se contentent même de faire leur travail sans prétendre donner de leçons (si j’ose dire). Lui, si. Et de publier derechef un Antimanuel de littérature (1) que çà et là on a bien dû déjà trouver « iconoclaste, dérangeant et impertinent ». Le tonique et drôle Antimanuel de français de Claude Duneton date d’une bonne trentaine d’années : c’est dire si Bégaudeau est aux avant-postes ! Quant à l’ Antimanuel de philosophie de Michel Onfray, il est beaucoup plus récent ; c’est dire si Bégaudeau connaît les ficelles. Passons. Passons aussi sur des traits d’un humour qui se veut sans doute « au second degré », et qui n’est que narcissique et lourdasse. Cet Antimanuel ne manque d’ailleurs ni d’intelligence ni de culture littéraire (c’est bien le moins !). Seulement, à travers ses paradoxes, clins d’œil, sophismes et pirouettes, il s’offre comme uniquement accessible, en ce qu’il peut avoir d’intéressant, à ceux qui ont déjà reçu ou trouvé des ressources de lecture et d’appréciation riches et diverses ; il exclut précisément ceux dont on avait cru comprendre que François Bégaudeau prenait légitimement la défense : jeunes gens dits « défavorisés » qui depuis les bancs de leur lycée aperçoivent de loin filer comme une comète (si tant est même qu’ils l’aperçoivent) la culture légère, insolente et distanciée des bobos. C’est sûrement très drôle, très spirituel, très décalé de nous promettre « des analyses qui, s’enchaînant, dessineront un schéma que figureraient assez bien les contours d’un chat sur le dos, pattes recourbées », mais François Bégaudeau semble avoir oublié que son (notre) premier devoir est de transmettre, et qu’il faut pour cela quelques principes de fond et des idées simples et solides. Cela le regarde, s’il quémande un statut d’ilote médiatique ; libre à nous de préférer l’effort quotidien du prof qui se pose dix mille questions et tente obstinément de donner quelque chose à ses élèves, quels qu’ils soient. *** Contre-épreuve : le livre modeste et savant que Jacqueline de Romilly et Monique Trédé consacrent à la langue grecque (2). Extraordinaire tour de force que de parvenir à donner même aux non hellénistes, à travers des exemples précis, une idée de la dialectique intime au prix de laquelle, dans ses structures lexicales et syntaxiques, le grec ancien s’est prêté aux plus subtiles inflexions de la pensée et de la sensibilité, cependant que les intuitions et inventions des créateurs, poètes ou philosophes, nourrissaient en retour et enrichissaient cette langue. Encore ma formulation est-elle approximative, puisque je présente en deux mouvements distincts ce qui précisément n’en fait qu’un – et la grâce de ce livre est de nous le faire toucher du doigt. L’auteur de Pourquoi la Grèce ? (1992) poursuit ici son propos et le porte à un haut degré de subtilité. Non pas la subtilité qui exclut, ou qui s’admire en son miroir. Tout au contraire, une finesse érudite et patiente qui partage, qui ouvre la porte, qui convie au festin. *** En janvier et février, la presse bruissait de la déconfiture finale de l’Académie française. Ses fauteuils se dépeuplaient funèbrement, et si l’on en croyait les gazettes, plus personne ne voulait « y aller », pas un candidat valable ne se profilait à l’horizon ! Cependant, avec un léger sourire, Mme Hélène Carrère d’Encausse rappelait à qui voulait l’entendre que de telles alarmes étaient déjà reflétées vers la fin des années 1950 dans le bloc-notes de Mauriac – et même dans des écrits de… 1910 ! Six, huit mois ont passé. L’Académie a reçu Mgr Dagens, un des pasteurs de grande solidité intellectuelle que compte en son sein l’Eglise catholique de France (et il n’est pas le seul). Jean-Loup Dabadie, scénariste de cinéma, inoubliable parolier de Julien Clerc et de Polnareff. Jean-Christophe Rufin, à qui ses engagements humanitaires et sa réussite de romancier ont valu une notoriété qui dépasse nos frontières. Jean Clair, analyste profond de l’art et esprit anticonformiste. Jean-Luc Marion, à la fois spécialiste de Descartes et passionné de théologie. Eh bien, pour une institution qu’on disait croulante, ce n’est pas franchement « mauvaise pioche »… J’ai déploré ici (et je continuerai !) la manie d’autodénigrement qui affecte, par médias interposés, la création et la pensée françaises. L’Académie, à rebours, rend hommage à quelques uns de ceux dont les écrits et les actes honorent notre pays. Je ne lis pas beaucoup les journaux, mais je ne doute pas que nos Cassandre aient déjà publié leurs rectificatifs… (1) éditions Bréal, 310 pages, 21 euros (2) Petites leçons sur le grec ancien , Stock, 176 pages, 15,50 euros

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