Avant-critique Roman

Jean-Paul Dubois, "L'origine des larmes" (Éditions de l'Olivier)

Jean-Paul Dubois - Photo © Ulrich Lebeuf/L'Olivier

Jean-Paul Dubois, "L'origine des larmes" (Éditions de l'Olivier)

Depuis le jour de sa naissance jusqu'à celui où il tira sur son père, Paul Sorensen est un inconsolé. Il est le héros du nouveau roman de Jean-Paul Dubois, qui après son prix Goncourt en 2019, revient avec une comédie noire.

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Par Olivier Mony
Créé le 15.03.2024 à 09h00

Il pleut, il pleure. « Il ne m'appartient pas de convaincre qui que ce soit. J'ai dit dès le début combien il est difficile de se défendre ou même de s'expliquer quand on ne regrette rien [...]. Je sais ne pas valoir grand-chose, que je ne crois en rien, et n'espère ni pardon ni certificat de bonne conduite. » L'homme qui parle ici se nomme Paul Sorensen. C'est un entrepreneur de la région toulousaine. Stramentum, l'entreprise prospère dont il a hérité, fabrique des housses mortuaires. Rien de bien folichon, on en conviendra, rien qui ne tarisse sa mélancolie profonde. Il est seul et prétend s'en satisfaire plutôt. C'est du moins ce qu'il déclare au docteur Guzman, un psychiatre qui durant un an va recueillir ses confidences. Ce suivi lui a été imposé par la justice puisque Paul Sorensen est un assassin. Il a tué son père, Thomas Lanski, d'une balle dans la tête. Son père qui était déjà mort, de mort naturelle à 82 ans, quelques jours auparavant... Sale affaire. Pourquoi ce crime qui n'en est donc pas vraiment un ? Parce que son géniteur, une parfaite ordure, ne méritait au fond pas mieux ? Certes, mais l'explication est un peu courte. Parce que sa mère, suédoise, est morte en couches en même temps que son frère jumeau et que, depuis, Paul se sent dévasté par le chagrin autant que par la culpabilité du survivant ? Parce qu'il a voulu croire que son grand-père était Dag Hammarskjöld, l'ancien secrétaire général de l'ONU, comme son père le lui révéla un jour, et qu'il s'est aperçu qu'il n'en était rien ? Autant de questions qui n'appellent d'autres réponses que dans l'ordalie de la tristesse. Alors que la pluie autour de lui semble ne jamais devoir cesser, Sorensen pleure. Son besoin de consolation est impossible à rassasier.

C'est tout de même étonnant. Étonnant ce que parvient toujours à faire, en maître des illusions, Jean-Paul Dubois, avec les arguments romanesques les plus noirs. Son Paul Sorensen est ici un frère en destins froissés, en allers-retours entre le sud-ouest de la France et le Canada, en enfances mal parties, en amateurs de chiens et de chouettes voitures, en éternels orphelins, de tant de héros duboisiens qui l'ont précédé. Du cœur des ténèbres où il le plonge, Dubois orchestre plus que jamais une danse tragico-burlesque. Toujours frontal dans son récit, toujours à hauteur d'homme et de chagrins, l'efficacité est sa seule boussole. Bien sûr, plus que Djian auquel ses livres ont été parfois abusivement comparés, il flotte sur ses pages les échos d'auteurs admirés comme autant de contrôles de passage lors d'un rallye automobile : Brautigan, Salinger, Carver... Mais la pelote de Dubois est bien la sienne, reconnaissable entre toutes. Moins ample sans doute que ne le furent Une vie française ou le prix Goncourt Tous les hommes n'habitent pas le même monde (L'Olivier, 2004, 2019), L'origine des larmes renoue avec une forme d'élégance désenchantée, d'ironie navrée, qui nous avait manqué. On n'est pas près d'oublier ni le long dialogue entre Paul Sorensen et le docteur Guzman, ni les fantasmes et les peurs qui hantent la solitude du vendeur de housses mortuaires. Les uns et les autres sont les nôtres.

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