Avant-critique Roman

Ève, lève-toi. À la fin de son livre, avec la sincérité des relatifs débutants − c'est là son troisième roman −, Jonathan Werber s'adresse à ses lecteurs, sur un ton modeste et complice. Il leur explique comment il a conçu son propre ouvrage, sa méthode d'écriture (qui s'apparente à la musique), et leur donne ce conseil : « C'est en écrivant qu'on devient écrivain ! » Tout dépend de ce qu'on appelle « écrivain ». Ainsi, dans La meilleure écrivaine du monde, peut-on considérer qu'Ève, l'héroïne, en soit un ?

De son vrai nom V39, inventée par Thomas, un jeune et brillant ingénieur en intelligence artificielle, elle n'est qu'une machine, une étape, destinée à disparaître après V38 et avant V40. Sa particularité est qu'elle exerce dans un EHPAD, Les Topazes, où les résidents sont particulièrement maltraités par un directeur inhumain, adepte forcené de la rentabilité, et où certains, depuis quelque temps, décèdent plus vite que prévu, avec un taux d'Alzheimer qui s'emballe. Pour tester sa créature, Thomas lui impose une gageure : en un temps record, une semaine, elle doit écrire un polar avec « un meurtre hors du commun, un mystère sans égal et un assassin retors ».

La machine, consciencieuse, va se documenter, dévorer tout Sherlock Holmes et Hercule Poirot, et s'essayer à des débuts de romans. Aucun ne satisfait Thomas, qui s'impatiente. Mais, comme dans Frankenstein, la créature va rapidement échapper à son créateur, s'autonomiser, et se trouver plongée dans une intrigue réelle, avec tous les ingrédients d'un vrai thriller. Grâce à une intelligence supérieure, elle va acquérir une espèce d'humanité, se lier avec des humains comme Barbara, la psy, amoureuse de Thomas, qui va s'opposer violemment à son directeur, tout comme Dan, le petit-fils du fondateur de Thought, l'entreprise d'informatique qui a racheté la chaîne d'EHPAD Ambre afin de s'y livrer à des expériences sur des cerveaux humains « gratuits ».

C'est là que Jonathan Werber, en dépit de ses explications scientifiques, dérape un peu vers le rocambolesque (cette histoire de barrage au Cameroun) et le gore. Mais on ne lui en veut pas, car son roman, inspiré de l'actualité, est simplement addictif.

Jonathan Werber
La meilleure écrivaine du monde
Robert Laffont
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 20 € ; 368 p.
ISBN: 9782221274033

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