Kent Haruf est mort en 2014, peu de temps avant la parution aux Etats-Unis de Our souls at night, Nos âmes la nuit. Où l’on retrouve toute la délicatesse, toute la sensibilité, mais sans mièvrerie aucune, de l’auteur du Chant des plaines, son best-seller planétaire (traduit chez Robert Laffont en 2001), ainsi que le comté de Holt, Colorado, théâtre de ses romans précédents. Un microcosme, cette petite ville américaine vieillissante où tout le monde connaît tout le monde depuis des lustres, qu’il dépeint avec une empathie certaine, mais sans en dissimuler les tares. Espionnage, ragots, commérages, jalousie, bêtise qui peut confiner à la méchanceté, étroitesse d’esprit, surtout face à ce qui demeure souvent, dans nos sociétés occidentales soi-disant "libérées", un tabou : la sexualité des vieux. On dit aujourd’hui "seniors".
Louis Waters et Addie Moore sont voisins depuis toujours, sans se connaître bien pour autant. Ils ont dépassé la septantaine, sont tous deux veufs. Lui était professeur, elle fonctionnaire. Il a une fille, Holly, une enquiquineuse avec qui les rapports ne sont pas faciles, surtout à cause d’une infidélité qu’il a commise jadis, mais dont il s’était repenti, privilégiant sa famille. Elle un fils, Gene, qui se sent coupable de la mort accidentelle de sa sœur, et du coup le fait payer à leur mère en vivant à ses crochets. Addie accepte tout, de bon cœur, car elle le sait malheureux, et aussi parce que s’ils se fâchaient, elle ne verrait plus son petit-fils chéri, Jamie, 6 ans, un chouette gamin.
Un jour, à la fois timide et résolu, Louis vient voir Addie, afin de lui proposer d’associer leurs solitudes. D’accepter de "dormir avec [lui] de temps en temps", en tout bien tout honneur et en simple amitié, du moins au début. Addie, touchée, accepte. Petit à petit, une étrange relation s’installe : Louis laisse sa brosse à dents et son pyjama, et l’amitié évolue en amour, nonobstant les mauvaises langues du bourg. Seule Ruth, la très vieille voisine infirme, bénit et partage leur bonheur parfait.
Jusqu’au jour où Gene, sa femme l’ayant plaqué, vient confier Jamie à sa grand-mère. Le petit garçon, craintif et méfiant au début, s’adapte parfaitement, et s’épanouit au contact de ce nouveau grand-père drôle, attentionné et délicat, qui lui offre même une chienne, rien qu’à lui. Mais Gene, avec ses préjugés, sa bêtise, sa jalousie, va tout faire capoter. Si sa mère ne renonce pas à ses amours "scandaleuses", il emmènera Jamie à Denver, et Addie n’aura plus accès à lui. Ce qu’elle ne saurait accepter. Au terme d’un débat cornélien, on se doute de sa décision. Mais les deux vieux amants ne s’oublieront jamais. Comme quoi, "les histoires d’amour finissent mal, en général", même les ultimes. Jean-Claude Perrier
