24 août > Essai Haïti > Jacques Roumain

Jacques Roumain (1907-1944) a fondé le Parti communiste haïtien en 1934. Mais ce n’est pas à ce titre qu’il est passé à la postérité. Cet écrivain doit sa renommée à un roman, véritable monument populaire de la littérature haïtienne. Publié à Port-au-Prince l’année de sa mort, Gouverneurs de la rosée raconte l’histoire de Manuel, travailleur immigré à Cuba, qui revient dans son village natal de Fond Rouge. Il y retrouve la misère et la résignation. En bon marxiste, il explique aux habitants que la sécheresse n’est pas une fatalité et qu’ils peuvent sans dépendre du pouvoir local capter et maîtriser l’eau. La découverte d’une source sur un morne lui donne raison, mais Manuel est assassiné. Néanmoins, grâce à son action, les habitants de Fond Rouge se rendent "gouverneurs de la rosée" et reprennent leur destin en main.

Une phrase du héros résume la portée symbolique de ce texte. "Ce que nous sommes ? Si c’est une question, je vais te répondre : eh bien, nous sommes ce pays et il n’est rien sans nous, rien du tout." Ce roman, qui commence par ces mots "Nous mourrons tous", fait évidemment partie des Œuvres complètes de Jacques Roumain réunies par Léon-François Hoffmann et Yves Chemla. On y trouve aussi La montagne ensorcelée, qui traite de la réalité rurale haïtienne, ainsi que le recueil de poésies Bois d’ébène.

Dans son introduction, le poète haïtien René Depestre considère Jacques Roumain comme un "contemporain capital", celui qui "fait entrer la tragédie grecque dans un hameau haïtien abandonné à la sécheresse et à l’extrême dénuement de la condition humaine". Fils de famille bourgeoise, Roumain a été nourri de Proust, Faulkner, Kafka et Malraux. Il y a chez lui le souffle de l’épique, la liberté d’imagination, le goût de la rébellion. Tout cela forme un cocktail caraïbe assez fort qui tourne un peu la tête. Lui-même s’enivre de la beauté de son pays. Dans ses poèmes, ce métis fait corps avec cette histoire.

"Afrique j’ai gardé ta mémoire Afrique/tu es en moi." Avec cette voix tragique et fraternelle, il dénonce les atrocités commises par les marines américains qui ont occupé l’île jusqu’en 1934. Lui aussi fut battu et contraint à l’exil en raison de ses opinions politiques. Lorsqu’il revient, il crée l’Institut d’ethnologie à Port-au-Prince. Ses Œuvres complètes témoignent de la variété des registres : travaux scientifiques, textes journalistiques, politiques ou polémiques. Il défend ainsi Paul Morand qui se trompe avec talent sur les Haïtiens, mais qui se trompe tout de même. Dans son Carnet constitué de petites chroniques, il parle de tout et de Gide. Et parmi les poèmes retrouvés, il y a cette touchante "Chanson pour un enfant qui n’avait jamais eu de jouets".

Dans un mélange de français populaire et de créole, Jacques Roumain installe un surréalisme aux accents tchékhoviens où s’expriment l’amertume et le sentiment d’impuissance face au racisme et à l’exploitation. C’est Haïti qui chante dans cette œuvre brève, intense et poétique. Un hymne à son peuple, à la littérature et à la liberté. L. L.

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