Peut-on «  domestiquer  » un outil et son usage par un concept ? C’est la question à laquelle conduit une exploration de certains textes sur la «  culture de l’information  ». Une partie des professionnels de l’information s’investissent dans cette notion avec force. La diffusion des technologies de l’information et des discours à leur sujet ont fait de l’information un objet évident nécessitant un discours à son sujet. Le ministère de l’Education Nationale s’apprête à décrire la nouvelle mission des professeurs-documentalistes à travers une circulaire largement construite autour du terme d’ «  information  ». Il a presque renoncé à la notion de «  documentation  » qui avait, pour un temps, prévalu. Cette évolution n’est pas anodine et repose sur un discours qui en appuie la signification. L’idée qui domine est celle selon laquelle il convient de distinguer l'abondance de l’information et des outils de sa production, diffusion ou communication et la « c ulture de l’information  ». Si ce décalage concerne toute la population, elle est particulièrement perçue comme dommageable chez les élèves. Ceux-ci seraient improprement présentés comme « digital natives », experts dans les technologies de l’information parce qu’ils ont grandi avec. L’aisance avec les outils ne suffirait pas à maîtriser l’information. L’acquisition d’une «  véritable  » «  culture de l’information  » supposerait une capacité à hiérarchiser, contextualiser et interpréter les documents. Il ne s’agirait pas seulement de faire en sorte d’adapter les élèves aux outils nécessaires à leur future activité professionnelle mais de les «  élever  », de leur permettre de penser par eux-mêmes (le fameux «  sapere aude !  » de Kant). Par extension, la «  culture de l’information  » apparaît comme une condition de l’accès à la citoyenneté («  tout ce que l'élève doit savoir pour vivre dans cette société particulière  ») en ce que devient pleinement citoyen celui qui serait pleinement conscient des conditions et modalités par lesquelles on passe de la volonté individuelle à la volonté générale.   En quoi cette vision de la «  culture de l’information  » pose-t-elle questions ? Les objectifs à atteindre ne sont pas réellement en question. Il reste que la vision de la culture en jeu semble par trop figée. Des notions aussi essentielles que celles d’auteur, de document, de connaissance ne sont peut-être pas intemporelles. S'il est sans doute naïf de penser que les jeunes vont eux-mêmes produire leurs propres manières de penser et saisir le monde, il semble excessif de les penser uniquement à travers leurs manques. Les analyses ou témoignages s'acharnent à montrer combien ils manquent d'attention, de pratiques de lectures, de curiosités, de goûts pour les études et pour l'effort. Ce jugement repose sur une vision des élèves comme une matière souple prête à être modelée. C'est ne pas voir que les jeunes revendiquent d'être pris en compte pour eux-mêmes. Ils se pensent comme des personnes qui existent à côté et en amont de l'école. Il semble difficile de fonder un enseignement sur l'information en faisant comme s'ils n'avaient pas une familiarité avec elle quand bien même elle serait insuffisante. On ne peut leur interdire d'utiliser les technologies de l'information et d'aspirer aux fonctionnalités qu'elles offrent plutôt que de s'intéresser aux implicites des outils et de leurs usages. Ils veulent moins apprendre la technique et les principes de la nage qu'évoluer dans le bain informationnel, s'y laisser porter par le courant voire y barboter ce qui n'interdit pas de leur présenter certains dangers. Plus fondamentalement (et toujours sans naïveté), il est probable (et sans doute souhaitable) que ces nouvelles générations renouvellent notre manière de penser le monde ce qui suppose qu'ils disposent d'une autonomie suffisante pour le faire. Comment obtenir ce résultat en imposant les catégories anciennes (on parle même des vertus de la «  skholè  » !) ?   Si la «  culture de l'information  » est une culture comme les autres, on voit mal comment elle pourrait échapper au métissage et à la fragilisation subie par les cultures du fait de la revendication d'autonomie individuelle (choisir ses références, son histoire, ses outils, ses amis, etc.). Selon nous, la «  culture de l'information  » peut se construire dans le flot d'informations en proposant des bouées auxquelles peuvent recourir ceux qui en éprouvent le besoin ou des îles sur lesquelles ceux qui le souhaitent ont le loisir de s'installer pour observer les nageurs dans le courant.
15.10 2013

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