19 octobre > Essai France > Etienne Klein et Alice Calaprice

Albert Einstein habitait un étrange pays dénommé nulle part. Il fut selon l’expression d’Etienne Klein un "génie du non-lieu". Et visiblement, il était à son aise dans ce territoire sans frontières, seulement délimité par sa curiosité illimitée. Sans doute fallait-il un physicien adepte de sports d’endurance comme l’ultra-trail pour se lancer le défi d’aller visiter un tel pays. Mais c’est plutôt en voiture et à vélo que l’auteur de En cherchant Majorana (Folio, 2015), directeur du Laboratoire de recherches sur les sciences de la matière au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), est parti sur les traces de ce génie qui bouleversa la physique en publiant en 1905 cinq articles extraordinaires.

En suivant l’errance européenne d’Einstein, en Suisse (Aarau, Zurich), en République tchèque (Prague) et en Belgique (Le Coq-sur-Mer), Etienne Klein s’attarde sur sa personnalité et sur ses travaux. Toujours en mouvement, Einstein voyageait avec son laboratoire ambulant : son cerveau. "Si la physique avait été un poulet, il eût voulu le dépiauter, le découper, le désosser." C’est dans ce cerveau qu’il réalisait ses "expériences de pensée" aussi efficaces que mystérieuses, en quête d’"une formule totalisante qui expliquerait en un seul souffle la chute des corps, l’éclat du diamant, l’instabilité du radium, la transmission de la lumière et des ondes radio, et même la composition de la matière".

A lire Etienne Klein, on réalise ce labeur incessant pour se saisir de l’univers. Le père de la théorie de la relativité considérait d’ailleurs que "tout ce qui constitue la science n’est jamais que l’affinement de nos pensées quotidiennes". Dans les citations retenues par Alice Calaprice pour Les sautes d’humour d’Albert Einstein, on voit se dessiner en creux le portrait d’un savant qui n’a jamais cessé d’éprouver la joie de penser. "Je n’ai pas de talent particulier. Je suis juste passionnément curieux."

Cette curiosité est au cœur de la démarche d’Etienne Klein. Il explique comment, avec Einstein, la vitesse de la lumière change de statut pour devenir une constante universelle de la physique. Il raconte aussi pourquoi la notion de temps, auquel il a consacré plusieurs livres, le fascine.

"Qu’aurais-je fait sans Einstein ?" se demande-t-il sur la terrasse de l’hôtel Bellevue à Berne, la ville de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle où Albert examinait les dossiers pour l’obtention d’un brevet d’invention. Peut-être n’aurait-il pas montré cette habileté à se saisir de notions complexes pour les traduire dans un langage accessible. Peut-être tire-t-il ce plaisir d’écriture que l’on retrouve dans le dialogue qu’il imagine entre Galilée et Einstein de cette figure de la science vécue comme une aventure sans pareille.

Tous ceux que la science fait rêver, tous ceux qui pensent que le nom d’Einstein ne se résume pas à E = mc2, tous ceux enfin qui éprouvent du plaisir à comprendre suivront les pas d’Etienne Klein mettant les siens dans ceux de l’illustre savant. Comme Magritte, on peut dire : ceci n’est pas une biographie. Mais c’est un sacré bon livre. L. L.

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