Histoire/France 11 septembre Caroline Callard

« Je ne crois pas aux fantômes, mais j'en ai peur. » Paradoxale, la phrase de Madame du Deffand peut servir de guide au travail original de Caroline Callard. Dans cet ouvrage tiré de son habilitation à diriger des recherches (HDR), l'historienne (université Paris 4-Sorbonne) explore le « moment spectral » où ces vieilles figures reviennent hanter la vie quotidienne à la faveur des guerres de religions et des maladies comme la peste. Car la peur se nourrit d'elle-même. Les philosophes cartésiens ont beau n'admettre aucune substance incorporelle, les gens qui ne croient pas aux fantômes mais qui en ont peur supposent qu'il doit bien y avoir quelque chose après la vie. Ils sont d'autant plus troublés que le protestantisme aurait d'une certaine façon provoqué le désenchantement du monde en chassant du Purgatoire ces âmes en attente de Paradis.

Le grand projet puritain d'expulsion des fantômes est donc en marche et rien ne semble l'arrêter, sauf le folklore, la superstition et le besoin de croire à quelque chose, y compris en des fariboles. C'est le moment que choisit Pierre Le Loyer pour publier au début du XVIIe siècle son Discours et histoires des spectres. Dans ce livre qui connut un grand succès, cet érudit recense les « visions et apparitions des esprits, anges, démons et âmes se montrant visibles aux hommes ». Il valide ainsi une « science » des fantômes. D'ailleurs des maisons hantées apparaissent à Paris ou à Bordeaux. La présence d'esprits autoriserait même la rupture du bail. Les juristes s'en mêlent. On finit par faire droit à la peur avec la notion de juste crainte. Ainsi la question du divorce dans le cas où l'épouse voit des fantômes partout se pose concrètement pour des juges. L'ectoplasme prend de la consistance au quotidien, comme celui de Léonarde Colin qui vient demander à sa nièce en 1629 de faire à sa place un pèlerinage qu'elle n'avait pu faire de son vivant.

« L'examen du temps des fantômes a permis d'observer le travail d'une mémoire impressionnée par les massacres et les grandes mortalités. Le fantôme et ses diableries accompagnent la perception que les contemporains se font du traumatisme né de la guerre civile et du schisme religieux. » Du milieu du XVIesiècle au milieu du XVIIesiècle, ce Temps des fantômes montre que par une sorte d'effet de balancier le surnaturel refait surface quand le naturel s'impose trop fermement. Bien plus encore, cet irrationnel tend à être expliqué d'une manière rationnelle puisque les fantômes sont « vus » par des témoins et qu'ils provoquent des effets très concrets comme la peur. Voilà pourquoi, nous dit Caroline Callard, « les avancées technologiques se sont souvent faites en compagnie des fantômes ». On rappellera qu'au XIXe siècle l'électricité était censée redonner vie aux corps, la photographie se saisir de l'aura des personnes ou le phonographe enregistrer les voix des morts. Sur ces esprits frappeurs, voici donc un livre frappant sur la hantise, les supercheries spectrales et le foisonnement féerique qui voisine avec le scepticisme et le rationalisme.

Caroline Callard
Le temps des fantômes : spectralités d’Ancien Régime (XVIe-XVIIe siècle)
Fayard
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 23 euros ; 368 p.
ISBN: 9782213712789

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