5 septembre > BD France/Liban > Zeina Abirached et Mathias Enard

Dans une association fructueuse avec Zeina Abirached (Le jeu des hirondelles, Cambourakis, 2007; Le piano oriental, Casterman, 2015), l’écrivain Mathias Enard, prix Goncourt 2015 pour Boussole (Actes Sud), réussit pleinement son entrée en bande dessinée. A cheval sur deux époques, celle de la fin des années 1930 et la nôtre, Prendre refuge déploie, dans le franc noir et blanc qui constitue la marque de fabrique de la dessinatrice libanaise, une méditation orientaliste, poétique, politique et mélancolique profondément originale, dont la construction fait écho aux professions de deux de ses principaux protagonistes: l’architecture et l’enseignement de l’astronomie.

Deux histoires sont restituées en parallèle, qui toutes deux convergent sur le personnage de Karsten, un jeune architecte berlinois. Plongé dans un livre d’Annemarie Schwarzenbach, il fait revivre un épisode de la vie de cette aventurière suisse (1908-1942), journaliste, écrivaine et photographe qui, issue de la grande bourgeoisie proche de l’extrême-droite, s’engagea contre le nazisme. On la rencontre en Afghanistan, sur le spectaculaire site des bouddhas de Bamiyan, détruits il y quelques années par les talibans, alors qu’elle tombe amoureuse d’une archéologue au moment où éclate la Deuxième Guerre mondiale.

Dans le même temps, Karsten est lui-même séduit, de nos jours à Berlin, par Nayla, une jeune réfugiée syrienne qui a été à Alep enseignante en astronomie. Nayla, qui n’a plus de nouvelles de sa famille depuis des mois, en est perturbée, mais cherche à s’insérer tandis que Karsten voit émerger en lui des sentiments amoureux où se mêle un Orient rêvé incarné par les bouddhas de Bamiyan et la trajectoire d’Annemarie Schwarzenbach et un Orient bien réel, marqué par les chocs du moment, révélé à travers la richesse et la complexité du personnage de Nayla. A sa manière, directe et frontale, qui rappelle la position des bouddhas, Zeina Abirached représente toutes les situations et les personnages de face. Ils sont face à nous, au monde et au cosmos. Fabrice Piault

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