Avant-critique Histoire de l'art

Laurent Fabius, "Tableaux pluriels. Voyage parmi les polyptyques d'hier et d'aujourd'hui" (Gallimard) : Tableaux vivants

Laurent Fabius, Conseil constitutionnel, avril 2018. - Photo JOËL SAGET © AFP

Laurent Fabius, "Tableaux pluriels. Voyage parmi les polyptyques d'hier et d'aujourd'hui" (Gallimard) : Tableaux vivants

Laurent Fabius revisite et analyse l'histoire de la peinture occidentale à travers les polyptyques, qu'il nomme « tableaux pluriels ».

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 22.10.2022 à 11h00

L'engagement au service de la chose publique nous a sans doute privés, en Laurent Fabius, d'un philosophe de l'art de haute volée. Khâgneux, normalien, agrégé de lettres, avant d'être énarque. L'Histoire dira si ce fut une bonne chose ou non. En attendant, maintenant qu'il n'est plus directement « aux affaires » (il est président du Conseil constitutionnel depuis 2016), le politique renoue avec sa tradition familiale − il est le descendant d'une grande lignée d'antiquaires juifs alsaciens convertis malgré eux au catholicisme − et sa passion pour l'art, son histoire, sa philosophie. Son commerce aussi : il a été un temps actionnaire de la maison de vente aux enchères Piasa.

Déjà auteur, en 2010, du Cabinet des douze, Regards sur des tableaux qui font la France (Gallimard, Prix Montaigne), Laurent Fabius continue de rattraper son temps perdu avec ce nouvel essai sur les polyptyques, replacés dans le vaste ensemble de la peinture occidentale. Un livre d'amateur, doublement : amateur d'art, et peintre amateur (un scoop). D'où cette réflexion sur le support matériel d'un tableau : format, cadre, etc. Tout sauf anodin. En peinture comme ailleurs, fond et forme sont indissociables.

Tableaux pluriels (dénomination qu'il préfère à polyptyques, en raison, dans notre inconscient chrétien, de sa connotation religieuse réductrice) se présente comme un diptyque subdivisé en cinq panneaux (trois plus deux). Le premier recouvre la partie « voyage » du projet. Un vaste panorama, depuis le XIIIe siècle jusqu'à nos jours, des retables de Giotto à Pierre Soulages, si l'on veut. À l'origine, comme l'a magistralement rappelé Malraux dans La métamorphose des dieux, le retable n'est pas une œuvre d'art, mais un objet de culte, une image sacrée. Son développement durera jusqu'au XVe siècle, où il sera alors remplacé dans les églises par la pala, d'un seul tenant. À quelques exceptions près − Jérôme Bosch et son Jardin des délices, Grünewald et son Retable d'Issenheim, ou encore Rubens −, plus de polyptyques jusqu'à la redécouverte du genre par un XIXe siècle angoissé, à la recherche de ses racines : préraphaélites, symbolistes (Gustave Moreau...), Nabis surtout (Sérusier, Denis, Bonnard, Vuillard...) font rentrer en grâce le polyptyque, allant même parfois jusqu'au paravent.

Le XXe siècle suivra, avec des peintres figuratifs (de Matisse à Warhol) comme abstraits (Pollock, Zao Wou-Ki, Soulages...). Le succès sera constant. Le tableau pluriel se décadre, se décloisonne et, ainsi que l'explique Laurent Fabius dans la seconde partie de son ouvrage, plus érudite, plus ardue, il s'intègre à notre époque : « Outre leurs mérites propres, conclut l'auteur, les tableaux pluriels deviennent alors une sorte d'écho créateur de notre monde d'aujourd'hui et probablement de demain. » En art comme ailleurs, on est passés du sacré au profane, de l'universel à l'individuel, du sensible à l'intellectuel, et le métavers nous guette.

Laurent Fabius
Tableaux pluriels. Voyage parmi les polyptyques d'hier et d'aujourd'hui
Gallimard
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 28 € ; 264 p.
ISBN: 9782072995811

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