22 février > Histoire France > Jean-Louis Brunaux

Voilà un personnage sur lequel on sait très peu. Mais très peu, c’est encore beaucoup pour Jean-Louis Brunaux. D’abord il recadre le sujet : voilà ce qui est plausible, voici ce qu’on ignore. En revanche, sur la mythologie générée par cette figure lointaine, il y a de quoi dire. Et cet excellent historien au style limpide ne s’en prive pas. C’est évidemment l’essentiel de son travail. Non pas déconstruire un peu facilement l’image du héros gaulois, mais comprendre pourquoi il est devenu cette légende sous le second Empire puis sous la IIIe République. Dans une société qui revendiquait sa laïcité, Jeanne d’Arc apparaissait un peu trop religieuse. Le bouclier arverne contre César avait l’avantage du combattant que rien n’arrête pour défendre sa terre, et sans avoir entendu de voix. Voilà donc comment un notable, fils du roi Celtill, se retrouve, bien malgré lui, hissé au rang de mythe.

Mais derrière le symbole, il y a la réalité. Ce spécialiste de la société gauloise, directeur de recherche au CNRS, entreprend de redonner à Vercingétorix sa véritable apparence, sans la moustache tombante, la cuirasse de cuivre et l’épée de bronze. Pour sortir ce personnage engoncé dans "une histoire qui n’est pas la sienne", Jean-Louis Brunaux reprend César, évidemment, mais se méfie des dissimulations de La guerre des Gaules et de la mégalomanie de l’auteur qui rend d’abord compte aux sénateurs de Rome pour justifier son budget militaire.

Pourtant, dans ce texte tout à sa gloire, le proconsul désigne le chef arverne comme son égal au combat en parlant des Gaulois. "Ils reconnurent Vercingétorix comme leur imperator." Pourquoi, alors, après la victoire de Gergovie, Vercingétorix n’a-t-il pas enfoncé les légions épuisées ? Par lâcheté, dira César. Mais l’argument ne tient pas.

En soumettant les rares textes anciens à la critique, en faisant surtout appel à l’archéologie, Jean-Louis Brunaux parvient à écrire la première véritable biographie de Vercingétorix. Grâce aux documents, la statue s’anime, mais surtout la société gauloise apparaît dans sa diversité, ses rivalités, agitée de grandes ambitions face au géant romain. En prenant en compte le savoir contemporain de l’époque, il nous offre la vision du vaincu de 52 av. J.-C., l’homme que César congédie d’un trait de plume après sa reddition à Alésia pour le condamner à la pire des peines : l’oubli.

En le sortant de cette geôle mémorielle, Jean-Louis Brunaux révèle un peu plus que ce chef militaire éduqué par les druides qui a beaucoup appris en observant César. Avec lui, c’est la Gaule qui surgit de la brume glorieuse des épopées avec ces peuples méconnus, Eduens du Morvan en tête, autour de ce jeune chef à la tête d’une troupe de 80 000 hommes dont 15 000 cavaliers qui en imposait face aux légions romaines. Pour César, Vercingétorix n’est qu’une pièce du butin dans sa victoire. Dans cette fresque antique, Jean-Louis Brunaux replace les morceaux à la bonne place. Et la mosaïque qu’il nous livre a la vigueur d’un drame shakespearien. Laurent Lemire

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