Histoire/France 18 mars Anne Sinclair

La nuit du 12 décembre 1941, Léonce Schwartz est arrêté à Paris par deux gendarmes allemands et deux policiers français. Il fait partie des 743 juifs de La rafle des notables. Léonce Schwartz est le grand-père paternel d'Anne Sinclair. C'est en cherchant à en savoir plus sur cette interpellation que la journaliste est tombée sur une « tragédie déchirante », l'histoire du camp de Compiègne situé à 70 kilomètres de Paris, un lieu de détention moins connu que ceux de Drancy, Pithiviers ou Beaune-la-Rolande.

Et pourtant... Un prisonnier le nommait « le camp de la mort lente ». Car avant qu'ils ne décident de la « solution finale » lors de la conférence de Wannsee le 20 janvier 1942, les nazis faisaient mourir les juifs de faim. Dès leur première heure, les captifs entrent dans un monde brutal où le hurlement devient la règle et le coup de crosse la routine. Pour le reste, on retrouve à Compiègne les mêmes atrocités, les chambres à gaz en moins.

Anne Sinclair explique pourquoi on a qualifié cette rafle de « notables ». Tous ces hommes étaient des bourgeois, avocats, commerçants comme son grand-père, militaires décorés de la Légion d'honneur. Parmi eux il y avait René Blum, le frère de Léon, le sénateur et ancien ministre Pierre Masse, Jean-Jacques Bernard, le fils de Tristan. On les distinguait des juifs étrangers qui avaient traversé l'Europe par leurs habits bien coupés. Au début seulement. Car passés les premiers jours, la terreur, l'insalubrité, le manque d'hygiène et la faim uniformisaient tous les détenus au rang de spectres. Une chose les séparait, leur appréhension du judaïsme. La plupart des « notables » n'avaient jamais entendu de chansons yiddish. Pour ne pas devenir fous, ces gens éduqués avaient décidé de résister par la culture, en donnant chacun dans sa spécialité des conférences.

Léonce est libéré en raison de problèmes cardiaques et transféré à l'hôpital du Val de Grâce. Mais il y a encore beaucoup de lacunes autour de cet événement. Elle n'a retrouvé aucune lettre de Léonce à sa femme, aucune marque non plus de son passage à Compiègne dans les notes prises par les détenus. Et pourtant il y fut. En suivant la trace de cette histoire familiale, elle aurait aimé poursuivre le travail de 21, rue la Boétie (Grasset, 2012). Elle est tombée sur d'autres destins qui ont fini le plus souvent à Auschwitz : 550 des 743 y furent envoyés. « Sans doute ai-je cherché, en entreprenant ce livre, à combler le vide de la mémoire. J'étais en quête d'une histoire et j'en ai trouvé des centaines d'autres, bien plus tragiques encore. » À l'entrée du mémorial du camp de Compiègne sont gravés les noms des déportés. Elle a cherché celui de Léonce Schwartz. Il n'y figure pas. C'est aussi pour combler ce vide-là qu'elle lui a consacré ce récit bouleversant.

Anne Sinclair
La rafle des notables
Grasset
Tirage: 21 000 ex.
Prix: 13 euros ; 128 p.
ISBN: 9782246824138

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