5 JANVIER - ROMAN France

Tout commence par une photo sépia, prise juste avant la guerre. Le narrateur, deux ans, posant à côté de sa soeur, de six ans son aînée, au pied d'un cèdre. L'arbre oriental est en quelque sorte devenu son totem, le symbole de ces "verts paradis de l'enfance" dont la nostalgie irrigue la plume de l'écrivain célèbre et mature qu'il est aujourd'hui.

Philippe Sollers- Photo CATHERINE HÉLIE/GALLIMARD

Avec Anne, l'âme soeur, la relation était plus que fraternelle : fusionnelle, amoureuse. Cela a même failli basculer une fois. A Venise, forcément. Depuis, elle s'en est allée et, au grand dam de sa nièce, le frère, le (presque) "veuf, l'inconsolé », n'est pas venu à l'enterrement. "J'évite autant que possible la mort », note-t-il, superbe. Ce qu'il ne peut éviter, en revanche, c'est que la vie s'écoule et que vienne un moment où l'on regarde dans le rétroviseur, pour dresser une sorte de bilan. Même si, ainsi que le titre du roman le revendique, Sollers se veut dans le renouveau, l'embellie, le contre-courant du mainstream : en politique comme dans les moeurs. Vive la corrida, haro sur le jeunisme et le tout technique, le narrateur résiste : il écrit ses ouvrages à la main, et il y a même des amateurs pour les collectionner, jusqu'en Chine. Dont sa maîtresse, la très riche et très chic Lucie D., avec qui il passe de fort sensuels cinq-à-sept rue du Bac, à deux pas de son bureau.

Car le narrateur est non seulement écrivain sinophile, mais aussi éditeur chez Gallimard. Sollers, comme bien d'autres, joue avec les genres, se tricotant une espèce d'autofiction ou d'antimémoires, c'est selon. Un mot qu'il n'aime pas, parce que créé par Malraux, et qu'il n'aime pas Malraux. Surtout à cause de La tête d'obsidienne, fruit des conversations du grand écrivain avec l'immense Picasso, l'un des principaux héros de L'éclaircie.

Les autres protagonistes étant Manet - dont l'oeuvre dialogue avec celle de Picasso -, Stendhal de passage à Bordeaux - le terroir chéri de Sollers -, Casanova - avec le manuscrit de ses Mémoires arrivant à la BNF -, Baudelaire, Mallarmé, Bataille, Houellebecq, Nietzsche ou Gongora... Comme d'habitude, Sollers l'érudit "namedroppe" beaucoup, cite pas mal, télescope les époques et les styles. Et, sous des pseudonymes à peine déguisés, épingle quelques people germanopratins. A propos de "l'affaire Bettencourt", par exemple, il s'en donne à coeur joie, rappelant un certain passé "cagoulard" chez L'Oréal, et traçant un portrait plutôt complice de Pierre-Marie Pommier - le bénéficiaire des largesses de la milliardaire -, qu'il connaît depuis toujours.

Tout cela est brillant, décousu en apparence et très serré en réalité, libre dans le ton comme dans les idées. Qu'on l'aime ou non, Sollers reste unique dans notre paysage littéraire, et son Eclaircie, roman du retour aux sources, tout à fait réussi. A la fin, il fait même semblant de se moquer de sa supposée tentation "mégalo ». N'a-t-il pas signé, jadis, un Portrait du joueur ? Les jours s'en vont, Sollers demeure.

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