18 février > Roman France

Né en 1912, Léon-Gontran Damas fut, en 1934, avec Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire, le fondateur à Paris de la revue L’Etudiant noir. Le creuset de ce qui allait devenir la négritude, revendication, par des intellectuels français nés hors métropole, de leurs racines, tout en exprimant leur appartenance à la francophonie, leur amour d’une langue française qu’ils avaient "en partage", selon la belle formule de Maurice Druon, parfois réinventée, enrichie, magnifiée. Trois Noirs, un Sénégalais, un Martiniquais, un Guyanais métis. Mais ce dernier est moins célèbre que ses frères. Sans doute parce que, poète, homme de conviction, même s’il fut à un moment tenté par la politique (député de la Guyane de 1948 à 1951), sa carrière n’a pas atteint le niveau des deux autres, Senghor surtout. Il ne mérite pourtant pas d’être oublié, et l’on sait gré à Roland Brival de l’avoir pris pour héros de ce roman, dans un épisode marquant de son parcours, la découverte des Etats-Unis.

Roland Brival situe Nègre de personne à New York, en 1938-1939. Alors que la guerre menace déjà en Europe, Damas se rend en Amérique, théoriquement pour organiser un colloque à Paris entre intellectuels noirs des deux côtés de l’Atlantique. En fait, il brûlait d’envie de découvrir l’effervescence culturelle contestataire de la Grosse Pomme, de la comparer avec la situation des Noirs à Paris, libres, certes, mais souvent en butte au racisme. Dès son arrivée, il est pris d’un immense vertige. Habitant Harlem, le plus grand ghetto du pays, avec ses 300 000 citoyens, d’abord chez sa cousine Elisa - son amour de jeunesse - et son mari Anton, un Haïtien adepte de Marcus Garvey et du retour en Afrique, il y découvre la ségrégation et la misère, mais aussi une créativité exceptionnelle, grâce à Anna, peintre haïtienne avec qui il vit une histoire d’amour "sex, drugs and jazz". Il flirte même avec Billie Holiday. Il vit toutes les expériences, rencontre beaucoup de monde, dont les leaders de la NAACP, un mouvement de Noirs très élitiste, cherche en chacun et en lui-même l’humanité, la fraternité, Dieu ou Bouddha. Et repense même à son colloque…

Mais la guerre, cette fois, frappe. Damas, cédant aux vœux de ses frères, pour qui ce conflit est "une guerre de Blancs", va-t-il rester aux Etats-Unis, devenir un des militants du Black Power ? Non. Il se considère comme "un bâtard, un sang-mêlé" mais "le Nègre de personne". Profondément patriote, il choisit de rentrer au pays et de se battre. Le roman s’achève ici, présenté comme un carnet de ce séjour new-yorkais, adressé à Senghor et Césaire, que l’auteur relit vingt ans après. Dans la vraie vie, Damas fut résistant. Et il n’a jamais oublié les Etats-Unis, malgré tout : il est retourné y vivre, enseignant la littérature négro-africaine dans des universités. Il est mort à Washington en 1978. "Je suis noir, je suis beau et je l’affirme", écrivait-il dans son poème Harlem stride. Jean-Claude Perrier

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